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Expertise et intervention en cours d’instance

Denis Gouzée Denis Gouzée

L'arrêt de la Cour d'Appel de Mons du 18 octobre 2016 traite de l'intervention forcée dans une expertise liée à un incendie provoqué par R.P. décédé. Les héritiers de R.P. contestent la demande d'intervention de l'assureur, déclarée irrecevable par le premier juge en raison d'un rapport d'expertise déjà fourni. La Cour souligne que l'intervention est possible tant que les droits de défense ne sont pas violés. En l'espèce, les héritiers peuvent encore contester les conclusions de l'expert. Enfin, le rapport d'expertise est déclaré inopposable aux héritiers, nécessitant une réouverture des débats.
Illustration
Procédure - Droit judiciaire
Un intéressant arrêt de la Cour d’Appel de Mons du 18.10.2016 aborde la problématique de l’intervention forcée dans le cadre d’une expertise. Une subtile distinction est faite entre l’intervention forcée et l’opposabilité du rapport d’expertise. Un immeuble avait été volontairement incendié par un sieur R.P. Les héritiers de R.P. avaient repris 'instance à la suite du décès de ce dernier survenu le 25 octobre 2015. L’assureur incendie avait introduit, par citation du 11 juin 2013, une demande en intervention forcée et garantie contre les héritiers de R.P. afin que ceux-ci la garantissent de toute condamnation prononcée à sa charge. L’assureur fondait son action sur le fait que le sinistre a été la résultante d'une faute intentionnelle R.P. qui a mis le feu volontairement à l'immeuble sinistré. Le premier juge a déclaré cette demande irrecevable sur la base de l'article 812, alinéa 1, du Code judiciaire qui dispose que : "L'intervention peut avoir lieu devant toutes les juridictions, quelle que soit la forme de la procédure, sans néanmoins que des actes d'instruction déjà ordonnés puissent nuire aux droits de la défense". Le premier juge s'est fondé ainsi sur le fait que l'expert judiciaire FASSEAUX, préalablement à cette citation et en l'absence donc de R.P., avait déjà déposé son rapport d'expertise concernant la hauteur du dommage. Cela ne peut cependant pas suffire pour déclarer automatiquement cette demande en intervention forcée et garantie irrecevable, même si le rapport d'expertise est devenu définitif de même que la décision désignant l'expert. En effet, à juste titre, la Cour de cassation précise à ce sujet que :"Il ressort de la genèse de la loi que l'intervention peut avoir lieu dans une expertise tant qu'il n'est pas nui aux droits de la défense de la partie appelée en intervention forcée. Il s'ensuit qu'une intervention forcée dans l'expertise n'est pas exclue au cas où l'expert a déjà formulé une opinion provisoire, lorsqu'il apparaît que les droits de la défense de la partie appelée en intervention forcée ont été respectés" (Cass., 30 janvier 2015, Pas., 2015, I, p. 239) Sur la base de cet enseignement de la Cour de cassation, un auteur affirme, avec pertinence, que : "Quelles seront les circonstances qui amèneront les juges à considérer que les droits de la défense de l'intervenant ont été respectés ? L'analyse de la décision de fond par la Cour de cassation nous fournit quelques éléments de réponse. Le juge du fond a ainsi pu valablement considérer que les droits de l'intervenant n'étaient pas méconnus parce que : - il faut faire confiance à l'honnêteté intellectuelle de l'expert, qui peut modifier son avis provisoire... - les parties ont été systématiquement tenues informées du raisonnement de l'expert - la formulation de l'avis provisoire n'implique pas une violation automatique des droits des tiers qui n'ont pas encore participé à l'expertise - des investigations complémentaires peuvent encore être réalisées et les constats de l'expert de l'expert peuvent, dans la mesure du possible, être recommencés - l'intervenant aura tout loisir pour s'expliquer avant le dépôt du rapport définitif - l'intervenant avait été officieusement tenu informé du déroulement de l'expertise avant l'intervention. Ces conditions ont été considérées comme un tout par la Cour...On peut toutefois observer que, en fait, seule la dernière est véritablement propre au cas d'espèce. Les autres sont théoriques et peuvent être formulées à l'égard de (presque) n'importe quelle expertise. Entre les lignes, on peut donc comprendre que, dans la plupart des cas, les conditions énoncées par le juge du fond et validées par la Cour de cassation seront rencontrées" (D. MOUGENOT, " Recevabilité de l'intervention forcée en cours d'expertise : la Cour de cassation fait progresser le débat", in RDJP, 2015, p. 149, n° 10) La Cour de cassation semble ainsi, à juste titre, ne sanctionner d'irrecevabilité une demande en intervention forcée que lorsque cette demande consacre une violation irréversible des droits de la défense de la partie citée. Il apparaît, en effet, disproportionné de sanctionner d'irrecevabilité toute demande contre une partie qui n'a pas participé à une expertise concernant ses droits, si cette absence peut être compensée par de nouvelles mesures d 'investigation contradictoires permettant le respect intégral de ses droits de défense. En l'espèce, même si l'expert FASSEAUX a déposé, non seulement son avis provisoire, mais même son rapport définitif, sans jamais avoir entendu R.P. ou son administrateur provisoire, les droits de la défense de ce dernier peuvent encore être préservés dans la mesure où ses héritiers peuvent encore faire procéder à de nouvelles mesures d'investigation contradictoires ou soumettre de nouvelles pièces concernant la hauteur du dommage résultant du sinistre . Partant, il n'y a pas de violation des droits de la défense qui soient irréversibles si la demande est déclarée recevable . Il faut donc déclarer la demande en intervention forcée et garantie recevable. Il reste qu'entretemps, le rapport d'expertise est devenu définitif et qu'il faut se demander si celui-ci peut être déclaré opposable aux héritiers R.P. L'article 981, alinéa 1, du Code judiciaire est explicite, à ce sujet en disposant que : "L'expertise est inopposable à la partie appelée en intervention forcée après l'envoi de l'avis provisoire de l'expert, sauf si cette partie renonce au moyen de l'inopposabilité" Sur la base de cet article, l'auteur précité poursuit, à bon droit, que : "Passée l'étape de la recevabilité, se pose alors la question de l'opposabilité du rapport. L'arrêt commenté ne dit rien à ce sujet. C'est la lecture de l'article 981 qui fournit la solution à ce niveau. L'expertise est inopposable aux tiers, après l'envoi de l'avis provisoire aux parties, sauf si le tiers renonce à l'inopposabilité.... On pourrait donc parfaitement imaginer une situation où l'intervention forcée serait déclarée recevable mais où le rapport serait déclaré inopposable à l'intervenant. C'est ce qui se produira chaque fois que l'intervention forcée sera admise après l'avis provisoire. Dans ce cas, ..., il faudrait procéder comme dans le courant le plus strict de la jurisprudence antérieure à 2007 : désigner un nouvel expert qui recommencera à zéro, sauf à puiser dans le rapport déjà établi suffisamment de présomptions pour pouvoir statuer à l'égard du tiers"(D. MOUGENOT, " Recevabilité de l'intervention forcée en cours d'expertise : la Cour de cassation fait progresser le débat", in RDJP, 2015, p. 149, n° 11 et 12) ; A défaut pour les héritiers R.P. d'accepter de rendre l'expertise opposable, il faut donc déclarer cette expertise de l'expert FASSEAUX inopposable à leur égard ; Compte tenu de la recevabilité de la demande en intervention forcée et garantie de la SA ETHIAS et du caractère inopposable de l'expertise FASSEAUX à l'égard des héritiers R.P., il y a lieu d'ordonner une réouverture des débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur les conséquences de ce qui précède en ce qui concerne le fondement de cette demande en garantie

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