La faute intentionnelle et la Cour de cassation belge
La notion de faute intentionnelle en droit des assurances a connu une évolution significative dans la jurisprudence de la Cour de cassation belge. Cette évolution a été marquée par des décisions clés qui ont affiné la définition et les implications de la faute intentionnelle, influençant ainsi la manière dont les assureurs et les assurés perçoivent et traitent cette notion.
I. Fondements et justifications de l'interdiction de couvrir la faute intentionnelle
A. Disparition de l'aléa
L'assurance repose sur la couverture d'un risque incertain. La faute intentionnelle, par définition, élimine cet aléa puisque le sinistre est provoqué délibérément par l'assuré. Cette absence d'incertitude justifie l'exclusion de la couverture des sinistres intentionnels.
B. Ordre public et Bonnes mœurs
Il serait contraire à la morale et à l'ordre public de permettre à un assuré de bénéficier d'une couverture pour un sinistre qu'il a lui-même causé intentionnellement. Cette règle vise à éviter que l'assurance ne devienne un moyen pour l'assuré de tirer profit de ses propres actes délictueux.
II. Définition de la faute intentionnelle
A. Volonté de causer un dommage.
La faute intentionnelle en droit des assurances se caractérise par la volonté de causer un dommage, et non simplement de créer un risque. Cette volonté doit se rapporter au dommage lui-même et non à ses conséquences éventuelles. La Cour de cassation a précisé que la faute intentionnelle suppose la volonté de causer un dommage couvert par le contrat d'assurance, peu importe que l'ampleur du sinistre n'ait pas été voulue dans toute son étendue.
B. Caractère personnel de la faute intentionnelle
La faute intentionnelle a un caractère strictement personnel. Elle ne peut être reprochée qu'à celui qui l'a commise. Ainsi, dans les assurances de responsabilité civile, la faute intentionnelle commise par un assuré n'empêche pas les autres assurés ou bénéficiaires innocents de bénéficier de la couverture.
III. Qualification de la faute intentionnelle : Exclusion ou Déchéance ?
A. Déchéance de garantie
La Cour de cassation belge a évolué vers la qualification de la faute intentionnelle comme une déchéance de garantie plutôt qu'une exclusion de risque. Cette distinction est importante car elle détermine qui, de l'assureur ou de l'assuré, supportera le risque que la preuve ne soit pas rapportée. En cas de déchéance, la charge de la preuve incombe à l'assureur.
B. Preuve de la faute intentionnelle
La preuve de la faute intentionnelle peut être rapportée par tous moyens, y compris les témoignages et présomptions. Conformément à l'article 8.5. du nouveau Code civil, cette preuve devra être rapportée avec un degré raisonnable de certitude. Si un doute subsiste quant à l'existence d'un sinistre volontaire, le doute profitera à l'assuré et l'assureur sera tenu d'intervenir.
IV. Faute intentionnelle et Infraction pénale
A. Distinction entre faute intentionnelle et infraction pénale
La faute intentionnelle en droit des assurances ne s'identifie pas nécessairement à une infraction pénale intentionnelle. Certaines infractions pénales supposent une intention spécifique qui ne correspond pas toujours à la volonté de causer un dommage au sens du droit des assurances. Il est donc crucial de comparer les éléments constitutifs de l'infraction pénale avec ceux de la faute intentionnelle en droit des assurances.
B. Influence de la Jurisprudence pénale
La jurisprudence pénale peut influencer la qualification de la faute intentionnelle en droit des assurances. Par exemple, une condamnation pour coups et blessures volontaires implique que l'auteur des faits a bien commis une faute intentionnelle au sens de l'article 62, alinéa 1er, de la loi relative aux assurances. À l'inverse, l'acquittement du chef d'une prévention de coups et blessures volontaires établit l'absence d'intention de l'auteur de porter atteinte à l'intégrité physique d'autrui.
V. Cas pratiques et jurisprudence
A. Sinistre intentionnel et troubles mentaux
La question de la faute intentionnelle se pose également pour les personnes atteintes de troubles mentaux. La jurisprudence a évolué pour reconnaître que l'état mental de l'auteur au moment des faits peut exclure la qualification de faute intentionnelle. Par exemple, si une personne atteinte d'un trouble mental est acquittée sur la base d'une cause d'excuse prévue par l'article 71 du Code pénal, cette constatation exclut qu'elle puisse avoir causé le sinistre intentionnellement au sens de l'article 62, alinéa 1er, de la loi relative aux assurances.
B. Faute intentionnelle et Assurance de responsabilité civile
Dans les assurances de responsabilité civile, la faute intentionnelle commise par un assuré n'empêche pas les autres assurés ou bénéficiaires innocents de bénéficier de la couverture. Par exemple, si un copropriétaire se rend coupable d'un incendie volontaire, l'autre copropriétaire peut réclamer l'intervention de l'assureur pour sa part dans la copropriété.
VI. Évolution jurisprudentielle : Les arrêts clés
A. Arrêt du 5 décembre 2000
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a défini le sinistre intentionnel de manière extensive, en s'inspirant de la jurisprudence française. La Cour a considéré qu'un sinistre est intentionnel lorsque l'assuré a accompli un acte ou s'en est abstenu sciemment et volontairement, et que ce comportement à risque a causé à une tierce personne un dommage raisonnablement prévisible. La Cour a ajouté que la circonstance que l'auteur n'a pas souhaité ce dommage, ni sa nature ou son ampleur, n'y change rien ; il suffit que le dommage ait été réalisé.
B. Arrêt du 12 avril 2002
La Cour de cassation a confirmé la définition issue de l'arrêt du 5 décembre 2000, en précisant que pour qu'un sinistre soit qualifié d'intentionnel, il suffit que l'auteur ait pu prévoir les conséquences de son acte et, qu'à défaut de les avoir voulues telles quelles, il ait à tout le moins accepté celles-ci (critère de la prévisibilité).
C. Arrêt du 24 avril 2009
Cet arrêt marque un tournant dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La Cour a sensiblement modifié sa définition de la faute intentionnelle en adoptant une approche plus restrictive. Elle a précisé que la faute intentionnelle implique la volonté de causer un dommage et non simplement d'en créer le risque. La Cour a ajouté que la faute intentionnelle suppose la volonté de provoquer un dommage, peu importe que la nature ou l'ampleur du sinistre n'aient pas été voulues.
D. Arrêt du 23 février 2017
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a affiné encore sa définition de la faute intentionnelle en énonçant que la faute intentionnelle suppose la volonté de causer un dommage résultant de la réalisation d'un risque couvert par le contrat d'assurance. La Cour a ajouté qu'il ne suffit pas que l'assuré ait voulu un dommage quelconque, il faut que l'assuré ait voulu un dommage couvert par le contrat d'assurance.
E. Arrêt du 3 novembre 2022
La Cour de cassation a précisé que la faute intentionnelle, qui suppose la volonté de causer un dommage couvert par le contrat d'assurance, autorise l'assureur à refuser sa garantie non seulement pour ce dommage, mais aussi pour les dommages qui lui sont unis par un lien nécessaire. A contrario, la cour a donc considéré que la compagnie d’assurance ne pouvait décliner sa garantie pour des blessures causées à une victime alors que l’auteur avait seulement voulu l’effrayer.
« En considérant que le demandeur a voulu le dommage résultant de son acte d'intimidation, à savoir effrayer les membres du groupe dont faisait partie la victime, qu'il a ainsi commis une
faute intentionnelle et que les conséquences de celle-ci s'étendent à un dommage qui n'est pas en lien nécessaire avec cette frayeur, soit la perte d'un œil par la victime, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision."
Conclusion
La notion de faute intentionnelle en droit des assurances a été affinée par la jurisprudence de la Cour de cassation belge. La faute intentionnelle se caractérise par la volonté de causer un dommage couvert par le contrat et est strictement personnelle à son auteur. La jurisprudence tend à la considérer comme une déchéance de garantie, ce qui implique que la charge de la preuve incombe à l'assureur.
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