La preuve du contrat d'assurance : entre spécificités légales et pratiques courantes
Le contrat d'assurance et ses exigences probatoires
Le contrat d'assurance comporte des exigences probatoires spécifiques régies par la loi relative aux assurances. Cet article se penche sur les spécificités des articles 64 et 249 de cette loi, tout en les mettant en perspective avec le droit commun de la preuve et en intégrant des références à la jurisprudence pertinente.
Le consensualisme et le formalisme probatoire
Le contrat d'assurance est un contrat consensuel, ce qui signifie qu'il se forme par la simple rencontre des volontés des parties. Toutefois, les articles 64 et 249 de la loi relative aux assurances imposent un formalisme probatoire strict et exigent que le contrat et ses modifications soient prouvés par des écrits, tels que des polices signées ou des avenants. Cela vise à garantir la clarté des engagements et à éviter les litiges sur l'existence ou la portée des accords.
Jurisprudence
La Cour de cassation, dans son arrêt du 26 novembre 2021 (C.21.0037.F), a rappelé que la notification d'un acte juridique réceptice, tel qu'une intention de recours en assurance RC, peut être prouvée par toutes voies de droit, sans formalisme particulier, conformément à l'article 8.10 du Code civil.
Cela montre que, bien que le contrat d'assurance soit soumis à un formalisme probatoire, certains actes juridiques connexes échappent à cette exigence. Par ailleurs, dans l'arrêt du 7 septembre 2023 (C.23.0038.N), la Cour a précisé que la preuve par présomption ne pouvait être retenue que si elle reposait sur des indices sérieux et concordants, soulignant ainsi la rigueur nécessaire pour admettre des preuves indirectes.
La preuve entre les parties
Pour prouver le contrat entre les parties, un écrit est exigé. Toutefois, la loi ne précise pas toujours clairement si l'écrit doit être signé. En pratique, la présence d'une signature, même électronique, est souvent nécessaire pour prouver la validité du contrat.
- La signature électronique peut être ordinaire, avancée ou qualifiée.
- La signature ordinaire, comme une simple numérisation, a une force probante limitée.
- La signature avancée offre des garanties supplémentaires, notamment d'authenticité et d'intégrité.
- La signature qualifiée, réalisée avec un certificat délivré par une autorité de confiance, est la plus sécurisée et bénéficie d'une présomption de fiabilité équivalente à une signature manuscrite.
Jurisprudence
L'arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2021 (C.20.0129.N) a mis en lumière l'importance de la sincérité de l'aveu pour qu'il soit pris en considération.
Le contrôle de sincérité porte sur les circonstances dans lesquelles l'aveu est fait, et non sur la véracité de l'objet même de la déclaration. Cet arrêt est crucial pour comprendre que l'aveu, en tant que mode de preuve, doit être sincère et crédible.
En complément, dans son arrêt du 16 février 2024 (C.23.0170.N), la Cour a souligné que le commencement de preuve par écrit doit non seulement émaner de la partie à qui on l'oppose, mais également rendre vraisemblable le fait allégué, et non simplement en démontrer la possibilité.
Par ailleurs, l'exécution du contrat, telle que le paiement des primes ou la déclaration de sinistre, peut constituer une preuve implicite de l'existence du contrat. Cependant, la réponse est différente pour la preuve du contenu du contrat lui-même.
Le paiement de la prime est souvent perçu comme une reconnaissance de l'engagement contractuel par le preneur d'assurance. Toutefois, pour que le paiement de la prime puisse être interprété comme une acceptation des modifications du contrat (nouvelles clauses, par exemple), il est nécessaire qu'il soit effectué dans des circonstances particulières et sans ambiguïté.
Par exemple, si le preneur d'assurance n'est pas informé de la modification ou si le paiement est effectué par domiciliation, il est impossible de conclure à un consentement. En effet, le paiement pourrait simplement signifier que le preneur d'assurance souhaite continuer selon les conditions antérieures.
Ainsi, l'absence d'une communication claire de la part de l'assureur sur les modifications rend le paiement de la prime insuffisant pour prouver l'acceptation des nouvelles conditions.
Pour que la preuve de l'acceptation puisse être retenue, il faut établir que le preneur d'assurance a bien été informé de la modification. Il est également important de noter que certains régimes d'assurance, comme l'assurance maladie non liée à l'activité professionnelle, sont soumis à des règles distinctes qui interdisent toute modification après la conclusion du contrat.
Dans ces cas, le paiement de la prime ne peut pas être interprété comme une acceptation des modifications, car aucune modification n'est permise.
De plus, les pratiques actuelles, qui permettent à l'assureur de présumer l'accord du preneur d'assurance en cas de silence, soulèvent des questions quant à la sécurité juridique et la protection des assurés.
Ainsi, le cadre légal actuel doit être respecté pour garantir que les modifications contractuelles soient valides et acceptées par les deux parties.
L'arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2019 (C.18.0401.N) a rappelé que, pour qu'une partie soit liée par une disposition contractuelle, il faut que celle-ci ait été portée à sa connaissance avant la conclusion du contrat.
La Cour de cassation a ainsi considéré que le simple renvoi aux conditions générales d’assurance dans les conditions particulières ne prouvait pas que l’assurance avait communiqué lesdites conditions générales à son assuré avant ou au moment de la conclusion du contrat.
La doctrine a également relevé que, pour établir une sécurité juridique complète, une disposition légale expresse serait nécessaire pour systématiser l'effet probant du paiement de la prime (P. Colle, R.G.D.C., 1990, n° 11, p. 144 ; K. Bernauw, 2009, p. 301).
Il a également été jugé que le paiement de la prime ne prouve pas à lui seul que l’assuré a eu la possibilité de prendre effectivement connaissance des conditions générales et qu’il les a dès lors acceptées (Cass., 14 mai 2021, C.20.0506.N).
La preuve par et contre les tiers
La preuve d'un contrat d'assurance par ou contre un tiers peut être rapportée par tous les moyens de droit. Par exemple, une victime d'accident de la route peut invoquer une déclaration faite par un policier concernant l'existence d'un contrat d'assurance (Cass. 24 septembre 2008, P.08.0728.F).
La date du contrat, quant à elle, ne doit pas nécessairement être enregistrée pour les assurances terrestres, bien que cela puisse être crucial en cas de résiliation.
Jurisprudence
La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 juin 2019 (C.18.0518), a rappelé que la preuve par et contre un tiers doit être libre et qu'il appartient au juge du fond d'apprécier la vraisemblance des faits présentés.
La modification du contrat
Comme nous l’avons précisé ci-avant, la modification du contrat d'assurance doit en principe être prouvée par un écrit signé. Toutefois, un commencement de preuve par écrit, complété par des témoignages ou des présomptions, peut suffire.
Concernant la modification, la question se pose souvent de savoir comment prouver l'accord du preneur d'assurance. Pour prouver la modification du contrat d'assurance, l'assureur doit démontrer que le preneur a bien donné son accord à cette modification.
En principe, cet accord doit être formalisé par un écrit signé, qui peut être une nouvelle police d'assurance ou un avenant signé par les deux parties. Cependant, lorsque l'écrit manque ou est ambigu, d'autres éléments peuvent être pris en considération.
La jurisprudence admet que l'accord du preneur peut être prouvé par des faits qui manifestent clairement son consentement.
L'arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2010 (C.08.0532.F) a considéré que la souscription par le preneur d'un nouveau contrat couvrant le même risque auprès d'un autre assureur pouvait constituer un aveu implicite de la résiliation du contrat initial.
De la même manière, l'exécution volontaire d'une modification, telle que le paiement des primes recalculées ou l'acceptation des nouvelles modalités de couverture, peut être considérée comme une preuve implicite de l'accord du preneur.
L'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 3 mars 2009 (Bull. Ass., 2011, p. 472) ainsi que celui de Bruxelles du 9 juin 1992 (R.G.A.R., 1994, 1228) ont confirmé que le paiement de la prime après l'émission d'un avenant par l'assureur pouvait être considéré comme une acceptation tacite des termes de l'avenant par le preneur d'assurance.
Cependant, il est important de souligner qu'une telle conclusion ne peut être généralisée : le paiement de la prime ne signifie pas nécessairement que le preneur accepte toutes les dispositions nouvelles du contrat.
Une disposition légale expresse serait nécessaire pour établir une règle générale de ce type (G. Heirman, 2020, p. 67).
En outre, l'usage de communications électroniques joue un rôle croissant. Un courriel ou un échange de messages, même sans signature qualifiée, peut constituer un commencement de preuve par écrit s'il émane du preneur et rend vraisemblable son acceptation de la modification proposée.
L'arrêt du 16 février 2024 (C.23.0170.N) souligne l'importance de la vraisemblance, rappelant que ces éléments doivent démontrer de manière crédible le consentement allégué.
Lorsque la modification du contrat est effectuée par voie électronique, il est essentiel de s'assurer que les principes de non-discrimination, d'équivalence fonctionnelle et de neutralité technologique sont respectés. Cela permet de garantir que les documents électroniques sont considérés comme valables et probants au même titre que les documents papier, conformément au Code civil et à la jurisprudence en la matière.
Jurisprudence
La Cour de cassation, dans l'arrêt du 26 septembre 2016 (C.16.0027.N), a distingué entre l'aveu et le commencement de preuve par écrit : un acte remplissant ces deux conditions doit être qualifié comme commencement de preuve lorsqu'il précède l'exécution du contrat, et comme aveu lorsqu'il est rédigé pendant la phase d'exécution.
En matière de modification du contrat, cette distinction est importante, car elle permet de déterminer la valeur probante des différents éléments présentés.
L'adhésion aux conditions générales de l'assurance
La preuve de l'adhésion aux conditions générales de l'assurance exige que l'autre partie ait eu la possibilité de prendre connaissance de ces conditions au moment de la conclusion du contrat. La simple mention de l'existence des conditions générales dans le contrat particulier ne suffit pas à prouver leur acceptation, et il est essentiel que le preneur d'assurance ait eu la possibilité réelle de les connaître.
Jurisprudence
Dans l'arrêt du 14 mai 2021 (C.20.0506.N), la Cour de cassation a jugé que le juge ne peut pas conclure que le preneur d'assurance a accepté les conditions générales simplement parce qu'il a payé la prime, sans vérifier s'il avait effectivement eu la possibilité de prendre connaissance de ces conditions.
De plus, l'arrêt du 22 décembre 2022 (C.22.0082.F) a précisé que le preneur d'assurance devait avoir eu la possibilité réelle de prendre connaissance des conditions générales, et que leur acceptation ne pouvait pas être présumée sur la seule base de leur mention dans les conditions particulières.
Conclusion
La preuve du contrat d'assurance oscille entre des règles strictes et une certaine liberté laissée aux parties. Entre les parties, le formalisme probatoire prévaut, alors que, vis-à-vis des tiers, une plus grande liberté est admise.
Cette combinaison des règles générales en matière de preuve et des dispositions spécifiques aux assurances constitue un équilibre entre sécurité juridique et souplesse pratique. Par exemple, la nécessité de prouver le contrat par écrit assure une grande sécurité juridique, tandis que l'acceptation tacite, comme le paiement de la prime ou l'usage de preuves électroniques, permet une certaine flexibilité dans l'interprétation des engagements, ce qui facilite la gestion des relations contractuelles dans des contextes variés.
La jurisprudence en la matière illustre bien cette dualité, rappelant l'importance du contexte et des circonstances spécifiques à chaque cas pour déterminer la valeur probante des preuves présentées. Par exemple, dans un cas où le paiement de la prime a été effectué après l'émission d'un avenant, les tribunaux ont parfois considéré cela comme une acceptation tacite des nouvelles conditions, mais uniquement lorsque le preneur d'assurance avait été clairement informé des modifications (Liège, 3 mars 2009, Bull. Ass., 2011, p. 472).
Il est crucial pour les praticiens de s'assurer que les exigences formelles sont bien respectées tout en sachant tirer parti des possibilités offertes par les commencements de preuve par écrit, les aveux et autres modes de preuve admis en droit des assurances.