Dommage et vétusté
Indemnisation d'un dommage et vétusté
Une question revient fréquemment dans le cadre de l’indemnisation d’un dommage. Faut-il prendre en compte la vétusté pour déterminer l’importance du dommage subi ?
Dans un brillant arrêt du 20 janvier 2022, la cour d’appel de Bruxelles répond à cette question.
Problématique de la vétusté
La cour résume la problématique de la manière suivante : « La prise en compte d’un coefficient de vétusté est une question délicate : l’admettre peut porter atteinte au principe de la réparation intégrale du dommage en empêchant la victime de faire l’acquisition d’un bien de remplacement, obligatoirement neuf ; la rejeter peut aboutir à un enrichissement de la victime également contraire au principe de la réparation intégrale (la réparation doit couvrir tout le dommage, mais rien que le dommage). »
Contexte des travaux
Dans le cadre de travaux, les immeubles voisins avaient subi divers troubles dont ils poursuivaient l’indemnisation.
La cour rappelle alors que “les inconvénients du voisinage, lorsque les voisins ne sont pas liés par un lien contractuel, obéissent principalement à deux régimes, indépendants l’un de l’autre (Cass., 14 juin 1968, Pas., I, p. 1177) : la responsabilité quasi-délictuelle, fondée sur les articles 1382 et suivants de l’ancien Code civil et la théorie des troubles du voisinage, fondée sur l’article 544 de l’ancien Code civil et sur l’article 16 de la Constitution.
Conditions de la responsabilité aquilienne
Conformément aux articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil, la responsabilité aquilienne est soumise à la réunion simultanée de trois conditions : l’existence d’une faute, celle d’un dommage et celle d’un lien de causalité unissant ceux-ci.
L’article 544 de l’ancien Code civil reconnaît à tout propriétaire le droit de jouir normalement de sa chose. La Cour de cassation a consacré la notion de troubles de voisinage dans deux arrêts du 6 avril 1960 (Pas., I, p. 915). Il est admis depuis que le propriétaire d’un immeuble qui, par un fait, une omission ou un comportement quelconque, rompt l’équilibre entre les propriétés en imposant à un propriétaire voisin un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage lui doit une juste et adéquate compensation, rétablissant l’égalité rompue (Cass., 25 juin 2009, Pas., I, p. 1665 ; voy. également Cass., 7 décembre 1992, Pas., I, p. 1339 ; J.T., 1993, p. 473, obs. D. VAN GERVEN).
Attributs de la propriété
Il n’est pas nécessaire que la victime et l’auteur du trouble soient l’un et l’autre propriétaires (Cass., 10 janvier 1974, Pas., I, p. 488). Il suffit que chacun dispose à l’égard du bien d’un attribut de la propriété en raison d’un droit réel ou personnel accordé par le propriétaire ; il importe peu que ce droit réel ou personnel ait une origine légale ou conventionnelle (Cass. 31 octobre 1975, Pas., I, p. 276 ; Cass., 9 juin 1983, Pas., I, p. 1145 ; J.F. ROMAIN, ‘Troubles de voisinage’, in Droits réels - Chronique de jurisprudence 1998-2005, Les dossiers du JT, p. 81).
Travaux et désagréments
Il convient encore de rappeler que, si le simple fait d’entamer des travaux sur un fonds voisin n’emporte pas d’office une rupture de l’équilibre au sens précité, certains désagréments liés à un chantier étant inévitables, il en va différemment lorsque de tels travaux occasionnent des dommages au bâtiment voisin. Dans ce cas, non seulement il y a, en principe, rupture de l’équilibre entre les fonds voisins, mais il peut être considéré que l’ensemble des dégâts excèdent la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage de sorte que la juste et adéquate compensation censée rétablir l’égalité rompue correspond au montant des remèdes requis pour réparer ces dommages.
Évaluation des dommages
Dans le cadre de l’évaluation des dommages, les défendeurs contestaient les travaux préconisés par l’expert au motif qu’ils entraîneraient une amélioration de la situation existante et donc une plus-value pour le voisin (dès lors qu’avant travaux il n’existait pas de barrière étanche à l’eau), de sorte que l’expert imposerait ‘de prendre en charge les mesures destinées à remédier à toute humidité dans le sous-sol du bâtiment sans prendre en considération l’état préalable du bâti’.
La Cour rétorque que : “Dans la mesure où le seul moyen de réparer le dommage subi par le voisin (et d’éviter qu’il s’aggrave) est de procéder à l’étanchéité préconisée par l’expert, le coût de ces travaux doit être intégralement supporté par les parties responsables (le cas échéant en vertu de la théorie des troubles de voisinage).
La seule circonstance qu’il pourrait en résulter une plus-value pour le bâtiment voisin ne justifie pas de réduire le montant dû à titre de réparation, à défaut d’autre possibilité de réparer ce dommage.
Critiques sur la vétusté
De même, la défenderesse faisait valoir qu’en ce qui concerne la dalle de sol, le rapport d’expertise a retenu, à tort, le coût de remplacement à neuf, sans tenir compte de la vétusté de cette dalle.
La Cour rejette cette critique : “La doctrine a tendance à exclure la prise en compte d’un coefficient de vétusté lorsque le remplacement ne peut se faire qu’au moyen d’un objet neuf (N. ESTIENNE, op. cit., nn° 28 et suivants, p. 19).
La Cour de cassation a longtemps considéré qu’en cas de dommage causé à une chose, le préjudicié avait droit à l’indemnisation de son dommage en valeur réelle, et que l’indemnisation de la victime ne pouvait lui procurer un enrichissement, ce qui serait le cas s’il n’était pas tenu compte, dans l’évaluation de l’indemnité, d’un certain degré de vétusté en lui préférant une estimation en valeur à neuf (Cass., 11 février 2016, RG n° C.15.0031.N, www.cass.be ; Cass., 5 octobre 2018, RG n° C.18.0145.N., www.cass.be).
Dans un arrêt rendu récemment en audience plénière, elle a cependant décidé à juste titre que celui ‘dont la chose est endommagée par un acte illicite a droit à la reconstitution de son patrimoine par la remise de la chose dans l’état où elle se trouvait avant ledit acte’ et que, en principe, ‘la personne lésée peut, dès lors, réclamer le montant nécessaire pour faire réparer la chose, sans que ce montant puisse être diminué en raison de la vétusté de la chose endommagée’ (Cass., 17 septembre 2020, C.18.0294.F et C.18.0611.F, Pas., 2020/13, pp. 101-103 ; For. Ass., 2020, p. 1 et la note de J.-L. Fagnart, qui écrit : ‘Le mur détruit était fait de vieilles briques. Personne ne fabrique de vieilles briques. Il faut donc reconstruire le mur avec des briques neuves’).
En l’espèce, le même raisonnement impose de conclure que l’ancienne dalle ne pouvant être remplacée que par une neuve, il n’y a pas lieu de déduire un coefficient de vétusté.