Intérêts,assurance et anatocisme
Lenteurs judiciaires et intérêts dus par l’assureur
Les lenteurs judiciaires doivent rendre le plaideur particulièrement attentif à la question des intérêts dus par l’assureur qui tarde à satisfaire à ses engagements. Un Arrêt de la Cour d’Appel de Mons du 23.2.2016 aborde de manière détaillée la question des intérêts, du point de départ, de l’anatocisme.
Contexte de l'affaire
A la suite d'un incendie, survenu le 24 janvier 2000, dans l'immeuble sis à Quievrain, rue de Valenciennes, 82, propriété de la SC SM COMPANY, et donné en location à la SPRL OLDIES, l’assureur de cet immeuble a été définitivement condamné, par un arrêt de cette Cour du 13 mai 2008, à payer une somme principale de 175.583,44 EUR et, à la seconde, une somme principale de 106.232,10 EUR.
Il reste donc à statuer sur les intérêts dus ainsi que sur les dépens.
Quant aux intérêts dus
Le litige concerne, tant la date de prise de cours de ces intérêts, que la question de l'anatocisme à propos de ceux-ci. Préalablement à ces questions, il faut qualifier les intérêts dus sur ces indemnités d'assurance.
A ce sujet, il a été écrit, à juste titre, à propos des dettes de sommes que : "De la jurisprudence de la Cour de cassation, il résulte que l'article 1153 s'applique aux obligations qui, initialement, se bornent au paiement d'une somme d'argent. Le fait que le montant de cette somme ne serait pas déterminé numériquement à l'avance mais serait soumis à l'appréciation du juge n'y fait pas obstacle. Néanmoins, lorsque l'obligation constitue la réparation d'un dommage à des biens, elle doit faire l'objet d'une évaluation après la survenance du sinistre. Cette obligation ne constitue pas, avant son évaluation, une dette de somme au sens de l'article 1153 du Code civil."
En l'espèce, il ne peut donc y avoir des intérêts moratoires qu’au plus tôt à dater de l’expertise, sous réserve de l'exigibilité de la dette qui sera analysée ci-après.
La date de prise de cours des intérêts
Comme précisé ci-dessus, les intérêts doivent être qualifiés de moratoires et, par conséquent, ne peuvent être comptabilisés que pour autant qu'il y ait eu une mise en demeure, conformément à l'article 1153 du Code civil.
Pour le surplus, « tant que la dette n'est pas exigible, il ne peut y avoir de retard dans l'exécution ». Il faut donc vérifier ces deux conditions :
- soit les dates d'exigibilité de la dette
- et de la mise en demeure
Etant entendu que "...si la mise en demeure précède l'exigibilité de la créance, s'agissant alors d'une mise en demeure ad futurum, la prise de cours des intérêts moratoires est reportée à cette époque."
Dès lors, si l'exigibilité de l'indemnité est antérieure à la mise en demeure, c'est la date de cette dernière qui est prise en considération, comme point de départ du calcul des intérêts moratoires, alors que dans le cas inverse, c'est la date de l'exigibilité qui est retenue.
En l'espèce, toutes les parties s'accordent pour dire que l’assureur a été mis en demeure par un courrier du 12 février 2004, de telle sorte qu'il ne subsiste plus que la question de savoir, à partir de quelle date, l'indemnité d'assurance est devenue exigible.
Pour répondre à cette question, il faut rappeler que si des présomptions existent que le sinistre peut être dû à un fait intentionnel dans le chef de l'assuré ou du bénéficiaire d'assurance, ainsi qu'en cas de vol, l’assureur se réserve le droit de lever préalablement copie du dossier répressif et l'éventuel paiement doit intervenir dans les trente jours où l'assureur a eu connaissance des conclusions dudit dossier, pour autant que l'assuré ou le bénéficiaire qui réclame l'indemnité ne soit pas poursuivi pénalement.
En l'espèce, l’assureur a rapidement sollicité une copie du dossier répressif, mais n'a obtenu cette autorisation et le dossier répressif en copie que postérieurement à l'ordonnance de non-lieu du 8 décembre 2003 qui lui a été adressée en annexe du courrier de mise en demeure du 12 février 2004.
La question se pose dès lors de savoir si l'exigibilité de la dette de l'assureur est établie 30 jours après la mise en demeure, annexant l'ordonnance de non-lieu, ou 30 jours après la prise de connaissance du dossier répressif.
Il faut, à cet égard, s'en référer à ce qui justifie la suspension de l'exigibilité de l'indemnité d'assurance, en faveur de l'assureur, à savoir une situation où il existe de forts soupçons de faute intentionnelle dans le chef de l'assuré et l'existence d'une enquête en cours.
Tel ne peut plus être le cas lorsqu'une ordonnance de non-lieu est intervenue et qu'elle est portée à la connaissance de l'assureur, lequel, s'il attend de prendre connaissance du dossier répressif avant de payer, le fera à ses risques et périls en devant, le cas échéant, payer des intérêts de retard.
Depuis l'ordonnance de non-lieu, la situation est comparable à un dossier où aucune information n'aurait été ouverte, même si une poursuite pourrait ultérieurement s'entamer ou se rouvrir dans ces deux hypothèses.
En principe, en l'espèce, les intérêts moratoires sont donc dus 30 jours après la mise en demeure du 12 février 2004, annexant l'ordonnance de non-lieu, soit le 12 mars 2004, et non 30 jours après la connaissance postérieure du dossier répressif.
Cependant, pour ne pas devoir payer d'intérêts de retard, l’assureur invoque un autre moyen, étant le fait que ses assurés ne lui ont pas fait état de l'existence ou non de créanciers hypothécaires ou privilégiés.
En réalité, l’assureur se fonde, à ce sujet, sur l'article 58 de la loi du 25 juin 1992 qui précise que dans la mesure où l'indemnité due à la suite de la perte n'est pas entièrement appliquée à la réparation ou au remplacement de ce bien, elle est affectée au paiement des créances privilégiées ou hypothécaires, selon le rang de chacune d'elles. Néanmoins, le paiement de l'indemnité fait à l'assuré libère l'assureur si les créanciers dont le privilège ne fait pas l'objet d'une publicité n'ont pas au préalable formé opposition.
Certes, sur cette base, l'assureur se doit de faire des vérifications pour éviter de payer deux fois s'il s'agit de créanciers dont le privilège doit faire l'objet d'une publicité, mais compte tenu de ce risque, il ne lui est pas interdit de se couvrir en prévoyant contractuellement que l'assuré devra apporter des renseignements, à ce sujet, et, le cas échéant, l'accord de paiement entre ses mains des créanciers.
La problématique de l'anatocisme
Les intimées réclament l'application de l'article 1154 du Code civil pour réclamer des intérêts sur les intérêts dus qui doivent donc être capitalisés.
Conformément à l'article 1154 du Code civil applicable en matière contractuelle : "Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une sommation judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la sommation soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière."
Il est établi, comme en l'espèce, que la remise de conclusions au greffe peut être considérée comme un acte équivalent à la sommation judiciaire requise par l'article 1154 du Code civil si ces conclusions avisent le débiteur de la capitalisation des intérêts (Cass., 17 janvier 1992, Pas., 1992, I, p.421).
Le dépôt de conclusions peut être considéré comme un acte équivalent à une sommation judiciaire, si ces conclusions attirent l'attention du débiteur sur la capitalisation des intérêts.
L'article 1154 du Code civil n'exige pas que le montant des intérêts échus soit précisé dans la sommation. Cet article n'exige pas davantage que les intérêts dont la capitalisation est demandée aient commencé à courir à la suite d'une sommation au sens de cette disposition.
Il importe donc peu que les calculs des intérêts n'aient pas été faits dans plusieurs jeux de conclusions, ni que la date de prise de cours ne soit pas expressément reprise dès lors que celle-ci n'est pas antérieure à la date des conclusions.
En visant expressément dans toutes les conclusions qu'il convenait d'appliquer les règles de l'anatocisme, il faut en déduire que les intimées ont bien attiré l'attention de leur assureur sur cette capitalisation des intérêts.
Quant aux dépens
La Cour relève, tout d'abord, que les intimées ont été défendues jusqu'à la faillite de la SPRL OLDIES par le même conseil. Cela n'empêche pas que les intimées qui ont des intérêts distincts, peuvent chacune réclamer leurs indemnités de procédure propres.
Ainsi, il a été écrit, à juste titre, que : "...la Cour de cassation...dans un arrêt du 9 novembre 2011, a décidé que plusieurs parties demanderesses ou défenderesses ont chacune droit à une indemnité de procédure, même si elles sont défendues par un seul conseil et concluent aux mêmes fins (Cass. 9 novembre 2011, J-T., 2011, p. 797,...)" (H. BOULARBAH, "Les frais et les dépens, spécialement l'indemnité de procédure", in CUP, Vol. 145, 2013, "Actualités en droit judiciaire", p. 364, n° 21).