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La procédure pourrait-elle être en Français ?

Denis Gouzée Denis Gouzée

L'article traite des défis linguistiques auxquels sont confrontées les entreprises d’assurances en Belgique, en particulier à Bruxelles, où les procédures judiciaires sont souvent menées en néerlandais, même lorsque les relations contractuelles se déroulent en français. La jurisprudence récente, notamment des arrêts de la Cour de Cassation et de la Cour constitutionnelle, suggère une évolution vers un pragmatisme linguistique, permettant aux demandeurs de choisir la langue de la procédure en fonction de leur domicile ou de la langue utilisée dans leurs échanges. Cela pourrait améliorer la situation des assurés en garantissant leurs droits linguistiques et l'efficacité de la justice.
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Assurance - Responsabilité - Roulage

Introduction

De nombreuses entreprises d’assurances ont aujourd’hui leur siège social dans la partie Nord du pays et, notamment à Anvers. Traditionnellement, de telles entreprises, si elles étaient citées devant les Tribunaux de l’arrondissement Judiciaire de Bruxelles, devaient l’être en Néerlandais, et ce même si les rapports contractuels s’étaient tous déroulés en français.

Un article récemment paru dans le Journal des Tribunaux (26.03.2011) sous le titre « Les Cours suprêmes et la loi du 15 juin 1935 relative à l’emploi des langues en matière judiciaire : vers la consécration d’un pragmatisme linguistique dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles » et sous la plume de F. Gosselin, laisse espérer que le réalisme l’emportera sur le sectarisme.

La situation actuelle

Les tribunaux bruxellois sont soumis à un régime linguistique bicéphale qui met en œuvre deux mécanismes distincts en fonction de ce que le tribunal est compétent en raison d’un critère localisé dans l’agglomération bruxelloise (article 4 de la loi du 15 juin 1935) ou en dehors de celle-ci (article 3, alinéa 2).

Dans la première hypothèse, la langue de la procédure sera fonction de la région linguistique du domicile du défendeur et se poursuivra dans cette langue sans préjudice de la possibilité pour celui-ci de demander unilatéralement le changement de langue.

Dans la seconde hypothèse, lorsque le tribunal a été saisi en raison d'une compétence territoriale déterminée par un lieu situé dans une commune flamande de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, la procédure se déroulera exclusivement en néerlandais, sauf changement de langue octroyé du commun accord des parties ou unilatéralement sollicité par le défendeur.

Le juge statue sur-le-champ sur les demandes de changement qui lui sont soumises. Il peut refuser de faire droit à la demande si les éléments de la cause établissent que le défendeur a une connaissance suffisante de la langue employée pour la rédaction de l'acte introductif d'instance.

Ce système, dans le contentieux des assurances, est donc peu satisfaisant :

  • Le preneur doit citer en Néerlandais.
  • Étant demandeur, il ne peut solliciter le changement de langue sans l’accord de l’assureur qu’il cite.
  • La demande de changement est soumise à l’appréciation et à la bonne volonté du magistrat.

L'évolution de la jurisprudence

L’arrêt de la Cour de Cassation du 27.03.2010

Le litige mettait aux prises un assuré social domicilié dans une commune flamande de l’arrondissement de Bruxelles et l’INAMI.

La loi prévoit de manière impérative la compétence du juge du domicile de l’assuré. Celui-ci décida néanmoins d’introduire la procédure en langue française, ce que le tribunal accepta et ce qui fut entériné par la Cour du Travail.

La Cour de Cassation rejeta le pourvoi en considérant que la règle de compétence impérative protégeait les intérêts de l’assuré et qu’il pouvait donc y renoncer.

La Cour considéra ensuite que le choix du Tribunal de Bruxelles n’avait donc pas été fait en raison du domicile de l’assuré, mais du siège, à Bruxelles, de l’INAMI.

Selon F. Gosselin, « au moment de la réforme du Code judiciaire, le législateur avait déjà précisé que lorsque la compétence territoriale supplétive du juge bruxellois peut être déterminée aussi bien par référence à une commune flamande qu’en fonction d’un critère sis en région bilingue, c’est le demandeur qui détermine la procédure linguistique applicable selon le critère de localisation qu’il choisit dans la citation ou qu’il déclare avoir choisi si ce critère n’est pas mentionné dans l’acte introductif ».

En conséquence, en cas de coexistence de critères de compétence extra et intra muros, le demandeur peut, si la compétence territoriale n’est pas d’ordre public ou est impérative, mais en sa faveur, ne prendre en considération que le critère de rattachement aux 19 communes bilingues de l’agglomération et donc faire choix de la procédure en langue française.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 98/2010 du 16 septembre 2010

Un travailleur assigne son employeur. Le siège social de l’entreprise se trouvait en Flandre mais le siège d’exploitation où travaillait le demandeur se situait à Bruxelles.

L’action fut introduite en français avec traduction en langue néerlandaise.

L’employeur invoqua la nullité de la requête et le travailleur demanda que la Cour constitutionnelle soit saisie de cette pratique discriminatoire puisqu’elle aboutit à mener un procès dans une langue qui n’est pas celle qui a été exclusivement utilisée entre parties dans leurs relations sociales.

Nous percevons ici l’importance de la question vu le nombre de preneurs, remplissant des propositions en français, recevant des conditions générales en français, entretenant une correspondance en français….

Or, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, lorsqu’il est question d’assigner une personne morale, le « domicile » visé par cette disposition s’entend de son siège social, et non pas de son siège d’exploitation commerciale.

La Cour dira pour droit que :

« cette obligation de mener cette procédure dans une autre langue que celle des relations de travail n’est conforme ni aux droits de la défense du travailleur, qui devra s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne, ni au bon fonctionnement de la justice puisque les juges devront traiter l’affaire dans une autre langue que celle des pièces qui leur sont soumises, et elle risque d’entraîner des frais et des lenteurs inutiles puisqu’elle peut nécessiter le recours à des traducteurs et à des interprètes jurés »
« L’employeur, personne morale, a, par hypothèse, démontré son aptitude à comprendre et à pratiquer la langue du travailleur en s’adressant à lui dans cette langue »

Comme le rappelle judicieusement F. Gosselin, « l’article 30 de la Constitution garantit aux personnes privées la liberté absolue d’utiliser la langue de leur choix dans leurs relations. Au regard de la hiérarchie des normes, cette liberté fondamentale consacrée par la Constitution n’est bien entendu pas moins respectable que l’obligation légale d’utiliser une langue déterminée. Si selon la Cour constitutionnelle, les droits de la défense et la bonne administration de la justice s’avèrent méconnus lorsque le procès est mené dans une autre langue que celle légalement imposée aux parties par les lois coordonnées, il en va a fortiori de même d’un litige qui devrait être poursuivi dans une autre langue que celle librement choisie par les parties dans le strict respect du prescrit constitutionnel : en vertu du principe d’égalité et de non-discrimination, si les droits de la défense et le bon fonctionnement de la justice garantissent aux parties le déroulement de leur procès dans la langue qu’elles ont utilisée lorsque cette langue est légalement imposée (par exemple par les lois coordonnées), il en va de même lorsque les parties ont utilisé une langue en faisant usage de leur liberté linguistique constitutionnellement garantie, quel que soit l’endroit du territoire où elles mettent en œuvre ce droit fondamental »

Le présent : les demandes de changement de langue

Aucun assureur n’étant domicilié, à ma connaissance, dans une commune flamande de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, je me limiterai à aborder l’hypothèse d’une procédure qui aurait été introduite, en néerlandais, par un preneur ayant souscrit son contrat en français auprès d’un assureur dont le siège social est en Flandres.

La demande doit être exclusivement faite par le défendeur.

En principe, une telle demande devrait être rejetée si les éléments de la cause établissent que le défendeur a une connaissance suffisante de la langue employée pour la rédaction de l'acte introductif d'instance.

S’agissant d’une personne morale dont le siège est en Flandres, le sort d’une telle demande ne faisait, par le passé, hélas aucun doute.

Cependant, l’arrêt de la Cour constitutionnelle ouvre de nouveaux espoirs dans la mesure où il dit pour droit qu’un tel refus de changement de langue serait désormais contraire aux droits de la défense et à la bonne administration de la justice.

Les spécificités de l’assurance

En cas de litige entre le preneur et l’assureur (hors donc le cadre de l’action directe), l’article 628,10 du Code Judiciaire déclare compétent le juge du domicile du preneur d'assurance.

En application de l’article 630, toute convention contraire est nulle.

Le législateur a donc voulu édicter une disposition particulière protectrice des assurés.

Dès l’instant où un assureur a un siège d’exploitation à Bruxelles et/ou que les relations contractuelles ont été nouées volontairement en français, il doit pouvoir être soutenu qu’une citation introductive d’instance peut être régulièrement introduite en français.

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