indemnisation accidentresponsabilité civileassurance automobiledommages matérielsloi du 31 mai 2017article 19bis-11victimes d'accidentsFonds Commun de Garantielégislation roulage

Pas de responsable connu : synthèse

Denis Gouzée Denis Gouzée

L'article examine les modifications apportées à l'indemnisation des automobilistes en cas d'accident sans responsable identifiable suite à la loi du 31 mai 2017. L'article 19bis-11, §2 de la loi de 1989 a été abrogé, mais demeure applicable aux accidents survenus avant le 22 juin 2017. La Cour de Cassation a confirmé que l'indemnisation est automatique pour les victimes, sans nécessité de prouver une faute. De plus, cette indemnisation couvre également les dommages matériels, et les assureurs ne peuvent pas exclure leur obligation d'indemnisation au motif que la victime est leur propre assuré.
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Nous avions déjà écrit de nombreux articles sur l’indemnisation des automobilistes dans le cadre d’un accident de la circulation pour lequel il était impossible de déterminer les responsabilités. Cette problématique touche à sa fin, dès lors que la loi du 31.5.2017 a substantiellement modifié ce système qui n’est plus d’application pour les accidents postérieurs au 22.6.2017. L’article 19bis-11, §2 de la loi du 21 novembre 1989 stipule que :
« Si plusieurs véhicules sont impliqués dans l’accident et s’il n’est pas possible de déterminer lequel de ceux-ci a causé l’accident, l’indemnisation de la personne lésée est répartie, par parts égales, entre les assureurs couvrant la responsabilité civile des conducteurs de ces véhicules, à l’exception de ceux dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée ».
1) Application temporelle de l’article 19bis—11, § 2 Cette disposition légale a été abrogée par l’article 15 de la loi du 31 mai 2017 modifiant la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs. Néanmoins, cette loi du 31 mai 2017 n’est entrée en vigueur qu’en date du 22 juin 2017. Rappelons que, conformément à l’article 2 du Code civil, « La loi ne dispose que pour l’avenir : elle n’a point d’effet rétroactif. » L’article 19bis – 11, § 2 de la loi du 21 novembre 1989 est donc, pour autant que de besoins, toujours applicable au présent litige dès lors que l’accident a eu lieu le 21 février 2013, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la disposition précitée. 1.a) Disposition interprétative ? Certains assureurs, parfois suivis par des tribunaux soutiennent que l’article 15 de la loi du 31 mai 2017 est une disposition interprétative. Par un arrêt récent du 26 avril 2018 la Cour de Cassation a mis un terme aux débats sur cette question :
Traduction libre : « Une loi interprétative est une loi qui, sur un point où la règle de droit est incertaine ou contestée, donne une solution qui aurait pu être adoptée par la jurisprudence. Des travaux parlementaires de la loi du 31 mai 2017, il apparaît qu’avec l’introduction de l’article 29ter de la loi du 21 novembre 1989, le législateur n’a pas seulement souhaité clarifier la règle contenue à l’article 19bis-11, §2 mais a également voulu adapter plus précisément la règle sur l’intention initiale d’indemniser uniquement les victimes innocentes d’accidents de la circulation, il a également étendu le régime d’indemnisation aux accidents impliquant des véhicules motorisés sur rail, il a étendu l’obligation d’indemnisation au Fonds commun de garantie dans les cas identifiés et a prévu une solidarité entre les assureurs des véhicules impliqués dans cet accident. Il s’ensuit que l’article 29ter de la loi, tel qu’introduit par la loi du 31 mai 2017 précitée, prévoit un régime d’indemnisation adapté et en conséquence, n’est pas une disposition interprétative. (Cass., 26 avril 2018, C.17.0578.N/ 3, www. juridat.be)
1.b) Application rétroactive ? Certains assureurs, soutiennent que loi du 31 mai 2017 aurait un effet rétroactif :
« L’intention du législateur étant tellement claire, il n’y a pas lieu de s’en tenir à la qualification théorique de loi interprétative pour déterminer si la loi peut avoir un effet rétroactif. L’intention du législateur étant tellement claire, le juge doit appliquer la nouvelle loi au passé si tel a été l’intention expresse ou tacite du législateur. […] Juger différemment créerait en plus une nouvelle discrimination entre les accidents avant et après le 22/06/2017 ».
Une telle affirmation contrevient aux principes les plus élémentaires de sécurité juridique. Pour autant que de besoin, il faut rappeler que la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif. Par ailleurs, dans un arrêt du 6 décembre 2018, la Cour Constitutionnelle a eu l’occasion de se prononcer sur la question de la différence de traitement entre les victimes ou les personnes impliquées dans un accident selon que cet accident ait eu lieu avant ou après le 22 juin 2017 :
B.9.2. Il appartient en principe au législateur, lorsqu’il décide d’introduire une nouvelle réglementation, d’estimer s’il est nécessaire ou opportun d’assortir celle-ci de dispositions transitoires. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’est violé que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. B.9.3. En l’espèce, le critère de la date à laquelle l’accident de la circulation est survenu, qui permet de déterminer sans difficulté la réglementation applicable à l’indemnisation des victimes, n’est pas dépourvu de justification raisonnable. B.10.La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.
2) Régime d’indemnisation automatique et droit subjectif à indemnisation Le système mis en place par l’article 19bis – 11, § 2 de la loi du 21 novembre 1989 est un régime d’indemnisation automatique, imposé par la loi aux assureurs de la responsabilité civile des conducteurs de véhicules automoteurs, à l’exclusion des assureurs des conducteurs dont la responsabilité n’est indubitablement pas engagée. (P. Staquet, « Article 19bis – 11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 – Réparation du dommage lié à un accident de la circulation dont les responsabilités sont indéterminées : la valse des questions préjudicielles, la ritournelle des réponses », in Actualités en droit de la circulation, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 158.) Selon la Cour de cassation, « il revient précisément à l’assureur assigné par la personne lésée de prouver que la responsabilité de son assuré n’est pas engagée ». (Cass. 30 janvier 2014, Bull. Ass., 2015/2, pp. 196-197). En outre, le bénéficiaire du régime instauré par l’article 19bis-11, § 2, ne doit pas prouver une faute des assurés des assureurs en responsabilité civile automobile à qui il est demandé indemnisation. En effet, selon le jugement inédit du 18 décembre 2017 du Tribunal de Première Instance francophone de Bruxelles « dans le respect des conditions qu’il prévoit, l’article 19bis-11, § 2, crée un droit subjectif à indemnisation à charge des assureurs RC automobile, sans qu’il soit nécessaire de prouver la faute de leur assuré. » Par ailleurs, dans son arrêt du 26 avril 2016, la Cour de Cassation a estimé que : Traduction libre :
« La répartition par part égale visée dans cette disposition ne s’applique qu’aux assureurs entre eux. La personne lésée peut donc réclamer l’entièreté du dommage qu’elle a subi à tout assureur d’un véhicule impliqué dans l’accident, à l’exception de ceux dont l’assuré n’est indubitablement pas responsable. »
3) Qualité de personne lésée du conducteur, au sens de l’article 19bis-11, § 2. L’article 19bis-11, § 2 ne trouve pas à s’appliquer uniquement à ceux dont la responsabilité ne peut indubitablement être mise en cause. Dans son arrêt du 26 avril 2018, la Cour de Cassation a dit pour droit à propos de l’article 19bis-11 §2 :
Traduction libre : « Il s’ensuit que pour l’application de cette disposition, seuls les assureurs RC automobile des véhicules dont les conducteurs ne sont pas responsables, ne sont pas tenus à indemnisation. Le moyen qui soutient que seules les victimes innocentes et leurs ayants droit peuvent être considérées comme lésées au sens de la disposition précitée se fonde sur une prémisse juridique erronée et manque en droit. »
L’historique du texte légal, ses travaux préparatoires et la circonstance qu’il a été abrogé pour être remplacé par un article 29ter (loi du 31 mai 2017), ne conduisent pas à la conclusion que l’article 19bis-11 §2, tel qu’applicable aux faits litigieux, ne pourrait s’appliquer qu’aux seules « victimes innocentes ». Ainsi que le soulève à juste titre le tribunal de première Instance de Bruxelles :
« La circonstance que le législateur est intervenu pour abroger l’article 19bis-11§2, démontre qu’une modification légale s’imposait pour que le régime institué par cette disposition soit modifié et remplacé par un régime à portée différente. Si, dans le cadre de l’adoption de l’article 29ter, le législateur a exprimé sa volonté de réserver le bénéfice d’une indemnisation sans faute au seul profit des “victimes innocentes”, cela n’a pas pour conséquence que l’article 19bis-11, § 2, devrait recevoir un champ d’application similaire à ce nouvel article. D’ailleurs, au cours des travaux préparatoires ayant abouti à l’adoption de l’article 29ter précité, il a été précisé que le texte de l’article 19bis-11 ne correspondait pas à l’intention du législateur d’indemniser uniquement les victimes innocentes, ce qui démontre une fois encore que ce texte avait un champ d’application plus large que celui limité à de telles victimes. La loi du 31 mai 2017 ne constitue pas une loi interprétative précisant la portée d’une disposition légale existante. Les travaux préparatoires de cette loi soutiennent d’ailleurs aucunement que tel a été le cas. En outre, la loi, loin de préciser la portée de l’article 19bis-11, § 2, l’abroge, en constatant que le texte légal, et son champ d’application aux termes de le jurisprudence, étaient plus étendus que l’intention initiale du législateur. De plus, cette loi introduit une disposition nouvelle, au contenu différent de celui de l’article 19bis-11, § 2, instaurant des règles et visant des hypothèses que celui-ci ne prévoyait pas. Il ne s’agit donc pas d’une loi qui, sur un point où la règle de droit est incertaine ou controversée, consacre une solution qui aurait pu être adoptée par la jurisprudence, mais au contraire d’une disposition modificative, qui n’a aucun effet rétroactif. »
L’article 19bis-11, § 2, s’applique donc même lorsqu’il n’est pas exclu que la responsabilité d’un conducteur puisse être la cause de l’accident, pour autant qu’elle ne soit pas établie, ce qui est le cas en l’espèce. 4) Quant à la réparation des dégâts matériels Dans son arrêt du 6 novembre 2014, la Cour de cassation a décidé :
« Il ne résulte pas de l’article 19bis – 11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, que l’obligation d’indemnisation des assureurs soit limitée à la réparation des dommages résultant de lésions corporelles » (Cass. 6 novembre 2014, Juridat, 17.03.2015).
Cette jurisprudence est suivie par deux arrêts de la Cour constitutionnelle (arrêt du 04.12.2014 n° 175/2014 et du 25 juin 2015 n° 96/2015), qui disent pour droit :
« Interprété en ce sens qu’il ne peut s’appliquer à la réparation des dommages matériels, l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Interprété en ce sens qu’il s’applique à la réparation des dommages matériels, l’article 19bis-11, § 2, de la loi précitée du 21 novembre 1989 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. »Dans son arrêt du 22 juin 2017 (n° 84/2017), la Cour constitutionnelle a une nouvelle fois confirmé sa jurisprudence en précisant que l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 s’applique non seulement à la réparation des dommages corporels, mais également à la réparation des dommages matériels. En outre, selon le jugement du 18 décembre 2017 rendu par le Tribunal de Première Instance :
« La pertinence des motifs de la Cour constitutionnelle a été critiquée en doctrine, en ce qu’ils se fondent sur la similarité du risque financier lié à la prise en charge des accidents avec et sans responsabilité. Le tribunal n’est pas le juge de la constitutionnalité des lois. Il ne peut contester l’autorité, même relative, qui s’attache aux arrêts de la Cour constitutionnelle en décidant d’interpréter une disposition légale de façon non conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, si la question de constitutionnalité litigieuse a déjà été tranchée par la Cour, et sous réserve de la faculté dont il dispose de poser, le cas échéant, une nouvelle question préjudicielle (voy. L’article 26, § 2, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle). En l’espèce, et en tout état de cause, le texte de l’article 19bis-11, § 2, est clair et n’introduit aucune limitation quant à la nature du préjudice indemnisable. L’obligation des assureurs qui en découle inclut dès lors également le dommage au véhicule et ne se limite pas aux dommages résultant des lésions corporelles. »
Les dégâts matériels occasionnés au véhicule doivent dès lors être indemnisés. 5) Quant à l’exclusion contractuelle des dégâts matériels Certains ont estimé que pourraient être exclus contractuellement les dommages matériels causés au véhicule de son propre assuré, en application de l’article 8, § 1er, du contrat type d’assurance. Cette exclusion serait autorisée par l’article 3, § 1er, al. 4, de la loi du 21 novembre 1989. Ce raisonnement ne peut être suivi. Dans un cas similaire, la Cour Constitutionnelle fut invitée à examiner la compatibilité de l’article 3, § 1er, de la loi du 21 novembre 1989 avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permettrait à l’assureur de la responsabilité civile de refuser d’indemniser le dommage causé au véhicule de son propre assuré lorsque son intervention est sollicitée sur la base de l’article 19bis-11, § 2, de la même loi. Dans son arrêt du 22 juin 2017 (n° 84/2017), la Cour constitutionnelle a précisé que :
« L’article 3 en cause s’inscrit dans le cadre d’un régime fondé sur la responsabilité et sur les assurances de la responsabilité. Il concerne les hypothèses dans lesquelles “est engagée la responsabilité civile” du propriétaire, du détenteur ou du conducteur du véhicule assuré. La règle contenue dans l’article 19bis-11, § 2, de la même loi est, quant à elle, un régime d’indemnisation automatique que la loi impose aux assureurs de la responsabilité civile de l’ensemble des conducteurs de véhicules automoteurs (à l’exception des assureurs des conducteurs dont la responsabilité civile n’est indubitablement pas engagée). »
Dans ce même arrêt, la Cour constitutionnelle poursuit :
« Au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, il n’est pas justifié que le droit des personnes lésées à une indemnisation intégrale de leur dommage soit limité par la circonstance qu’un des assureurs responsabilité civile concernés par la demande de réparation est leur propre assureur. En effet, si dans un régime d’assurance de la responsabilité civile, la relation contractuelle permet d’exclure de l’indemnisation le dommage matériel au véhicule de l’assuré, c’est parce que ce dommage est causé par la faute de l’assuré lui-même. En revanche, dans un régime d’indemnisation automatique du dommage qui suppose, par hypothèse, qu’aucune faute de l’assuré ne peut être démontrée, la relation contractuelle existant entre l’assureur et la personne lésée ne peut justifier l’exclusion de l’intervention de cet assureur. »
La Cour constitutionnelle conclut et dit pour droit que :
« Interprété comme permettant à l’assureur de la responsabilité civile de refuser d’indemniser le dommage causé au véhicule de son propre assuré lorsque son intervention est sollicitée sur la base de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, l’article 3 de la même loi viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Interprété comme ne permettant pas à l’assureur de la responsabilité civile de refuser d’indemniser le dommage causé au véhicule de son propre assuré lorsque son intervention est sollicitée sur la base de l’article 19bis-11, § 2, de la loi du 21 novembre 1989 précitée, l’article 3 de la même loi ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. »
Cela a pour conséquence qu’il n’y a aucune limitation à l’obligation d’indemniser liée à sa qualité d’assureur du véhicule dans le chef du débiteur de l’indemnité. Ainsi, comme l’indique très justement le Tribunal de Première Instance de Bruxelles :
« L’article 8, § 1 du contrat-type, instauré par l’arrêté royal du 14 décembre 1992, ne peut avoir pour effet d’interdire l’indemnisation du propriétaire du véhicule assuré à charge de son propre assureur, sur base de l’article 19bis-11 §2. Une telle application de cette disposition réglementaire serait, en effet illégale, car contraire à la loi. Ainsi, même à supposer que cette disposition puisse être interprétée comme empêchant cette indemnisation, le tribunal ne pourrait que refuser son application en vertu de l’article 159 de la Constitution ».
Dans son jugement du 17 décembre 2017, le Tribunal de Première Instance estime enfin que l’obligation d’indemniser les personnes lésées en vertu de l’article 19-11bis, qui instaure un régime autonome d’indemnisation automatique, trouve sa source dans la loi et non pas dans le contrat d’assurance. Enfin, quant à la différence de traitement entre d’une part, les victime d’un accident avec un véhicule non-identifié qui ne peuvent obtenir que l’indemnisation du préjudice corporel par le biais du Fonds Commun de Garantie Automobile, et d’autre part, les victimes d’un accident avec des véhicules identifiés où la responsabilité ne peut être déterminée, et qui pourraient obtenir aussi bien la réparation du préjudice matériel que corporel, cette question a déjà été tranchée par la cour Constitutionnelle (C. Const., 4 décembre 2014, n° 175/2004) qui considère cette différence de traitement comme n’étant pas discriminatoire.

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