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Une certitude raisonnable

Denis Gouzée Denis Gouzée

L'arrêt de la Cour d'appel porte sur un accident de moto causé par un manomètre défectueux, entraînant des chutes de pilotes amateurs. Les consorts A ont assigné les sociétés Y et X, responsables en vertu de la loi sur la responsabilité des produits défectueux. La Cour a confirmé le statut de producteur de Y et a constaté un défaut d'étalonnage du manomètre. Bien que l'expert n'ait pas établi de lien de causalité avec certitude absolue, la Cour a retenu une certitude raisonnable basée sur des éléments concordants. Elle a écarté les arguments des assureurs, affirmant que la responsabilité des producteurs est engagée.
Illustration
Assurance - Responsabilité - Roulage

Arrêt interlocutoire de la Cour d'appel

Cet arrêt interlocutoire rendu par la 4e chambre des Affaires civiles de la Cour d'appel concerne un accident survenu lors d'une course de motos le 13 août 2010. Les consorts A, pilotes amateurs, ont chuté à la suite d'un surgonflage des pneus de leurs motos dû à un défaut d'étalonnage d'un manomètre fabriqué par la société X.

Les consorts A ont assigné les sociétés Y et X, qui avaient apposé leur marque sur le manomètre, ainsi que leurs assureurs, en réparation de leur dommage sur la base de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux transposant la directive européenne 85/374/CEE.

La Cour est amenée à examiner si les conditions de cette responsabilité du fait des produits défectueux sont réunies à l'encontre des sociétés Y et X dans cette affaire d'accident lié à un manomètre défaillant. L'expert considérait que le manomètre était défectueux, mais il ne lui était pas possible de considérer avec certitude que ces défectuosités étaient en lien causal avec l'accident survenu.

Responsabilité de Y

1. Qualité de producteur de Y

Appliquant l'article 3 de la loi de 1991, la Cour considère que Y doit être regardée comme un producteur au même titre que X, dès lors qu'elle s'est présentée comme telle en apposant sa marque sur le produit.

Elle s'appuie sur un arrêt de la CJUE du 7 juillet 2022 qui a jugé que la directive impose une responsabilité solidaire du véritable producteur et de celui qui se présente comme tel.

2. Défaut du produit

La Cour constate, sur la base des constatations de l'expert judiciaire, que le manomètre présentait un défaut d'étalonnage le rendant défectueux au sens de l'article 5 de la loi.

L'expert a relevé un décalage de 0,75 Bar entre la pression indiquée et la pression réelle, ce qui a conduit à un surgonflage des pneus et à une perte d'adhérence à l'origine des chutes. Le défaut provenait d'un défaut d'assemblage.

La Cour en déduit que le défaut préexistait à la mise en circulation du produit.

3. Lien de causalité avec le dommage

Sur cette question cruciale du lien de causalité entre le défaut et les accidents, l'expert avait conclu à l'impossibilité de répondre avec certitude, relevant notamment que d'autres chutes étaient également survenues ce jour-là.

Cependant, la Cour relève que la certitude requise n'est qu'une certitude raisonnable, et non une certitude absolue ou scientifique. Elle estime que le lien causal est établi avec une certitude suffisante au vu des éléments suivants :

  1. Les consorts A ont très rapidement imputé leurs chutes à un surgonflage lié au manomètre défectueux, comme l'atteste un courrier 12 jours après les faits. Le mécanicien a également lié les accidents à la défectuosité constatée le jour même.
  2. Les constats techniques de l'expert confirment que le défaut était bien de nature à entraîner un surgonflage à l'origine d'une perte d'adhérence.
  3. Les accidents sont survenus dès le premier tour de piste pour chacun, dans des virages où le risque de perte de contrôle est accru, selon les témoignages concordants.

Bien que l'expert ait relevé l'usure de certains pneus, la Cour estime que ces éléments constituent un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir le lien de causalité.

La Cour souligne ainsi son indépendance vis-à-vis des conclusions de l'expert, dont l'avis n'a qu'une valeur indicative. En dépit de ses doutes, elle a estimé pouvoir retenir le lien causal au vu des autres éléments du dossier, la certitude absolue n'étant pas requise.

4. Incidence d'une faute du mécanicien

La Cour écarte l'argument des assureurs selon lequel la responsabilité de Y serait écartée ou limitée en raison d'une faute commise par le mécanicien qui n'a pas décelé le défaut.

Elle relève que le mécanicien était un tiers par rapport aux consorts A.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, en l'absence du défaut, les accidents ne se seraient pas produits tels quels, de sorte que la responsabilité du producteur demeure engagée.

Conclusion

Par cet arrêt solidement motivé, la Cour d'appel fait une application remarquable des principes régissant la responsabilité du fait des produits défectueux. Elle démontre que les conditions de cette responsabilité sont réunies à l'encontre des sociétés Y et X dans cette affaire d'accident lié à un manomètre défaillant.

En rejetant les arguments des défenderesses, elle garantit une protection effective des victimes conformément aux objectifs de la directive européenne. Sa motivation éclaire les notions de défaut, de mise en circulation et de lien de causalité au regard de cette responsabilité particulière.

Surtout, la Cour affirme son indépendance vis-à-vis des conclusions de l'expert qui ne la lient pas en retenant le lien causal malgré ses doutes, démontrant que l'avis de l'expert n'a qu'une valeur indicative. Elle rappelle ainsi que la certitude absolue n'est pas requise, la certitude raisonnable suffit en matière de responsabilité civile.

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