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Une nouvelle limite à l’autorité de chose jugée
Denis Gouzée
La Cour Constitutionnelle a examiné la relation entre les décisions pénales et civiles dans une affaire où un automobiliste, condamné pour défaut d'assurance, a pu prouver l'existence d'une assurance lors d'une instance civile. Bien que l'autorité de la chose jugée pénale limite les recours civils, la Cour a établi que cette autorité ne doit pas empêcher une partie de contester des éléments issus d'un procès pénal, surtout si elle n'y a pas pu défendre ses intérêts. Ainsi, le conducteur peut bénéficier de la preuve de l'assurance apportée par le Fonds Commun de Garantie, rendant la décision compatible avec les droits fondamentaux.
Assurance - Responsabilité - Roulage
Un automobiliste avait été condamné au pénal pour défaut d’assurance. Dans le cadre d’une instance civile, le Fonds Commun de Garantie rapportait la preuve de ce que, en réalité, il y avait une assurance. Cet assureur se retournait alors contre le conducteur, invoquant qu’il ne pouvait se prévaloir de l’existence d’une assurance, ayant été condamné pour défaut d’assurance. Dans un arrêt du 14.2.2019, la Cour Constitutionnelle examina cette question.
L’article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale énonce :
« L’action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique. Elle peut aussi l’être séparément ; dans ce cas l’exercice en est suspendu tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l’action civile, pour autant qu’il existe un risque de contradiction entre les décisions du juge pénal et du juge civil et sans préjudice des exceptions expressément prévues par la loi ».Le litige porté devant le juge a quo concerne la situation d’un prévenu condamné au pénal pour avoir conduit sans être couvert par un contrat d’assurance. Devant le juge civil, le Fonds commun de garantie belge, qui est un tiers au procès pénal, a démontré que le véhicule était bien assuré ; néanmoins, l’assureur du véhicule a introduit une action en garantie contre le prévenu, conducteur fautif non assuré, en alléguant que le prévenu, lié par le jugement pénal, ne peut se prévaloir du fait qu’il était bien assuré. L’adage « le criminel tient le civil en état », concrétisé dans l’article 4, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, est fondé sur l’autorité de la chose jugée attachée à la décision définitive du juge pénal à l’égard du juge civil, quant aux points qui sont communs tant à l’action civile qu’à l’action publique. La suspension obligatoire de l’action civile dans l’attente de l’action publique est notamment dictée par le souci d’éviter des décisions contradictoires. L’autorité de la chose jugée attachée au pénal à l’égard du juge civil constitue un principe général du droit (Cass., 15 février 1991, Pas., 1991, n° 322). L’autorité de la chose jugée attachée à la décision définitive du juge pénal à l’égard du juge civil, qui participe à ce souci d’éviter des décisions contradictoires, doit toutefois être interprétée compte tenu des garanties du droit à un procès équitable. Par égard au droit de la défense et au droit qu’a toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement, la Cour de cassation a jugé que « l’autorité de la chose jugée au pénal ne fait pas obstacle à ce que, lors d’un procès civil ultérieur, une partie ait la possibilité de contester les éléments déduits du procès pénal, dans la mesure où elle n’était pas partie à l’instance pénale ou dans la mesure où elle n’a pu librement y faire valoir ses intérêts » (Cass., 2 octobre 1997, Pas., 1997, n° 381 ; dans le même sens, Cass., 24 avril 2006, S.05.0075.N; Cass., 7 mars 2008, C.06.0253.F). La Cour doit examiner en l’espèce si le fait que l’autorité de la chose jugée attachée à la décision définitive du juge pénal à l’égard du juge civil soit absolue à l’égard du condamné, avec pour conséquence que celui-ci ne pourrait bénéficier de la preuve apportée dans cette même cause civile par un tiers au procès pénal réfutant les éléments déduits du procès pénal, ne crée pas une différence de traitement injustifiée en ce qui concerne le droit à un procès équitable dans le cadre du nouveau débat porté devant le juge civil. Il ressort de la jurisprudence citée ci-devant que l’importance de l’autorité de la chose jugée au pénal et le souci d’éviter que juge pénal et juge civil prennent des décisions contradictoires doivent être mis en balance avec le droit fondamental de toutes les parties à bénéficier d’un procès équitable et du droit de se défendre dans le procès porté devant le juge civil. Dans un système où l’autorité de la chose jugée au pénal à l’égard du juge civil est relativisée par égard aux vertus du contradictoire, il est cohérent de considérer que cette relativisation doit valoir à l’égard de toutes les parties impliquées dans le nouveau débat porté devant le juge civil. Lorsque, comme en l’espèce, les éléments déduits du procès pénal sont réfutés devant le juge civil par un tiers au procès pénal, cette question doit être considérée comme tranchée par le juge civil à l’égard de toutes les parties au procès civil, fussent-elles aussi parties au procès pénal. En pareille hypothèse, des décisions contradictoires ne pourront certes être évitées, mais il serait contraire au droit à un procès équitable que des parties impliquées dans un même procès civil ne puissent bénéficier, dans la même mesure, de l’autorité de chose jugée inter partes attachée à la preuve, apportée par un tiers au procès pénal, admise dans la décision du juge civil qui tranche leur litige. La disposition en cause, interprétée comme empêchant le prévenu de bénéficier, devant le juge civil, de la preuve apportée dans cette même cause civile par un tiers au procès pénal réfutant les éléments déduits du procès pénal, crée, entre les parties au procès porté devant le juge civil, une différence de traitement qui n’est pas raisonnablement justifiée. La disposition en cause, en tant qu’elle consacre le principe général du droit de l’autorité de chose jugée du pénal sur le civil, interprétée en ce sens que la partie condamnée lors d’un procès pénal qui a été attraite ensuite devant le juge civil ne peut bénéficier, dans ce procès civil, de la preuve apportée dans cette même cause civile par un tiers au procès pénal réfutant les éléments déduits du procès pénal, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constate cependant que la disposition en cause, en tant qu’elle consacre le principe général du droit de l’autorité de chose jugée du pénal sur le civil, peut être interprétée en ce sens que la partie condamnée lors d’un procès pénal qui a été attraite ensuite devant le juge civil peut bénéficier, dans ce procès civil, de la preuve apportée dans cette même cause civile par un tiers au procès pénal réfutant les éléments déduits du procès pénal. Dans cette interprétation, la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il en découle qu’alors qu’il a été condamné pour défaut d’assurance, le conducteur peut néanmoins s’appuyer sur la preuve de l’existence d’un contrat telle qu’elle a été établie par le Fonds Commun de Garantie.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]
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