Assurance, intérêt illicite et déclaration du chantier
Arrêt récent de la Cour d'appel de Bruxelles
Dans un arrêt récent de la Cour d'appel de Bruxelles, plusieurs questions juridiques complexes ont été abordées, notamment celles liées à l'assurance, à l'intérêt illicite et à la déclaration du chantier.
Contexte de l'affaire
L'affaire concerne la responsabilité d'un architecte décédé, dont l'assureur, Eu., conteste la couverture du sinistre en raison de l'absence de déclaration du chantier. La partie intimée, le Maître de l'ouvrage, reproche à l'architecte un défaut de contrôle de l'exécution des travaux, ce qui a conduit à des vices de construction significatifs.
Problématique de l'intérêt illicite
Un des points de l'arrêt est la discussion sur l'intérêt illicite. Eu. a argumenté que la demande du maître de l'ouvrage était irrecevable, car elle poursuivait un intérêt illicite, les maisons ayant été construites en violation du permis d'urbanisme. Cependant, la Cour a rejeté cet argument en affirmant que :
"Toute personne qui se trouve dans une situation illicite et qui agit en réparation d'un dommage ne poursuit cependant pas nécessairement la protection d'un intérêt illégitime."
La Cour a précisé que l'intérêt à agir n'est illégitime que si l'action tend au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à l'obtention d'un avantage illicite. Dans ce cas, le maître de l'ouvrage ne cherchait pas à maintenir une situation illicite, mais à obtenir réparation pour les dommages subis, ce qui est un intérêt légitime.
La Cour confirme la jurisprudence selon laquelle une demande visant la réparation d'un dommage n'est pas illégitime du seul fait que l'avantage perdu (ici les maisons) a été obtenu illicitement, dès lors qu'elle ne vise pas au maintien de cette situation, mais à l'indemnisation du préjudice subi. Ainsi, même si les permis ont été violés, le maître d'ouvrage peut être indemnisé par l'assurance des vices de construction, sans poursuivre un but illicite.
Question de la déclaration du chantier
La question de la déclaration du chantier est centrale dans cet arrêt. L'assureur a soutenu que l'absence de déclaration du chantier par l'architecte devrait entraîner une absence de couverture d'assurance. Cependant, la Cour a jugé que :
"L'absence de déclaration par l'architecte du chantier litigieux n'est donc pas opposable à Ae. et Eu. ne peut se prévaloir de cette omission pour refuser sa couverture."
La Cour confirme que l'absence de déclaration par l'architecte du chantier litigieux auprès de son assureur ne constitue pas une exception ou une déchéance opposable au maître d'ouvrage lésé, en vertu de l'article 87 de la loi du 25 juin 1992. Même si l'architecte n'a pas correctement déclaré le chantier, son assureur ne peut se prévaloir de cette omission pour refuser sa garantie à l'égard du maître d'ouvrage victime.
Ce point souligne l'importance de la protection des tiers lésés dans les assurances obligatoires de responsabilité civile, où les exceptions ou les déchéances ne peuvent être opposées à la personne lésée.
La Cour considère que l'obligation de déclaration des chantiers par l'architecte ne participe pas à la délimitation de l'objet de l'assurance, mais régit seulement les obligations de l'assuré en cas de modification du risque en cours de contrat. Cette clause vise à permettre à l'assureur d'ajuster la prime, mais ne conditionne pas l'existence même de la couverture d'assurance pour le chantier non déclaré.
Suivre la thèse de l'assureur selon laquelle un défaut total de déclaration entraînerait une absence de couverture mettrait en échec le mécanisme de contrôle du respect par les architectes de leur obligation légale de s'assurer. Cela permettrait à un architecte d'exercer illégalement sans que sa responsabilité ne soit couverte, ce qui viderait de son sens l'assurance obligatoire instituée par la loi.
Conclusion
L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles clarifie plusieurs points importants concernant les obligations des architectes et les conditions d'assurance dans le secteur de la construction. Il réaffirme le principe selon lequel les demandes de réparation de dommages ne sont pas nécessairement illégitimes, même si elles découlent d'une situation initialement illicite, tant qu'elles ne visent pas à maintenir cette illégalité. De plus, il renforce la protection des parties lésées en matière d'assurance, en limitant la portée des exceptions que les assureurs peuvent invoquer contre elles.