Avocat, assurance et prescription
Introduction
Un client consulte un avocat dans le cadre d'une longue procédure. Celui-ci se trouve sans nouvelles de son client pendant une longue période mais il est constaté qu'à l'époque une faute aurait été commise. L'action est-elle prescrite ? Des éléments de réponse dans un arrêt de la Cour d'Appel de Bruxelles du 19.6.2012.
Contexte de l'affaire
Monsieur L. (le client) consulte un avocat qui omet d'introduire une déclaration de créance dans le cadre d'une faillite. Une procédure pénale se déroulant en parallèle, le client ne donne aucune nouvelle à son conseil entre 1995 et 2004.
En 2004, le dossier rebondit et un autre conseil se rend compte de cette omission. La déclaration de créance étant faite tardivement, le client se trouve préjudicié. La responsabilité de l'ancien conseil est mise en œuvre.
Arguments de l'avocat et de son assureur
Celui-ci conteste sa responsabilité, faisant valoir qu'il était sans nouvelles de M. L. et qu'il en avait déduit qu'il n'avait plus aucune obligation relative à l'introduction d'une procédure judiciaire à l'encontre de la faillite.
L'assureur de l'avocat conclut à l'irrecevabilité de sa demande et invoque, sur la base de l'article 34§2 de la loi du 25 juin 1992, la prescription de l'action directe à son encontre pour avoir été introduite plus de 5 ans et même 10 ans après le fait générateur du dommage vanté par l'appelant.
Il soutient que la mission de l'avocat (Me X) a pris fin en octobre 1994, en sorte que le fait générateur du dommage ne peut se situer après cette date, si bien que l'action directe exercée à son encontre le 26 juillet 2006, plus de 10 ans plus tard, est prescrite.
Analyse de la Cour
La Cour va considérer qu'il ne résulte d'aucun élément objectif et pertinent au dossier que la mission de Me X. aurait pris fin à ce moment. Il n'est nullement établi que M. L. aurait, même verbalement, indiqué à son conseil qu'il mettait fin à sa mission à ce moment.
Le silence du client de Me X et sa position attentiste étaient entièrement justifiés en raison de la procédure pénale en cours. Si Me X. entendait mettre un terme à sa mission dans ce contexte, il devait alors en avertir son client de manière non équivoque. À aucun moment, il n'a interpellé son client à ce sujet, pas plus qu'il ne lui a adressé un état final de frais et honoraires.
Ce n'est qu'en 2004, lorsque le client consultera un autre conseil et que ce dernier signalera son intervention à Me X., qu'on peut considérer que la mission de ce dernier a pris fin.
Faute et délai de prescription
En l'espèce, il convient de constater que la faute reprochée à Me X. a été consommée le dernier jour du délai utile pour introduire la déclaration de créance à la faillite de la S.A. Travaux, son abstention fautive s'étant prolongée jusqu'à cette date. En l'espèce, la créance pouvait encore être introduite jusqu'au 17 mars 1997.
À ce moment, rien ne permet de considérer que la mission de Me X. aurait déjà pris fin. Le délai de 5 ans dont question à l'article 34 § 2, al. 1er de la loi a donc pris cours le 18 mars 1997 pour expirer le 17 mars 2002.
Cependant, ce n'est qu'après avoir échoué dans son action, soit à la suite d'une décision du 4 février 2005 qui a dit sa demande irrecevable à défaut de se trouver dans le délai utile pour agir en admission de sa créance, que Monsieur L. a pu préciser ses droits à l'égard de l'assureur de Me X. et a pu disposer d'éléments nécessaires à son action contre lui.
Dès lors, conformément à l'article 34, §2, al.2, le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à la date du 4 février 2005, sans qu'il n'excède 10 ans à compter du fait générateur du dommage, le 17 mars 1997.
Arguments subsidiaires de l'assureur
À titre subsidiaire, l'assureur soutient encore pouvoir se prévaloir de la prescription de l'action à l'égard de son assuré par application de l'article 2276 bis du Code civil pour en déduire que l'action directe dirigée contre elle serait sans objet ou sans « assiette ».
La Cour souligne à juste titre qu'il n'est pas requis qu'au moment où l'action directe est introduite, l'action à charge de l'assuré ne soit pas, elle-même, prescrite.
En effet, il s'agit de deux régimes de prescription autonome et qui ne coïncident pas nécessairement (voir B. Dubuisson et V. Callewaert, La prescription en droit des assurances, RGAR 2011, p.14702, spéc. n° 35).
A tort, Allianz fait valoir qu'en raison de la prescription de l'action de la personne lésée contre son assuré, l'action directe serait sans objet en l'absence de nécessité pour l'assureur de tenir le patrimoine de son assuré indemne au moment où la réclamation est formulée.
S'il doit être admis que l'assureur peut opposer toutes les exceptions que son assuré peut faire valoir à l'encontre de la victime quant à sa responsabilité, il n'en va pas de même de l'exception de prescription de l'action en responsabilité de son assuré qui ne porte pas sur le droit à l'indemnisation proprement dit, mais uniquement sur son exercice en justice.
Le droit à l'indemnisation n'ayant pas disparu, l'éventuelle indemnité reste due et c'est sur cette indemnité que la personne lésée peut faire valoir un droit propre contre l'assureur.
Du reste, les droits de la victime se cristallisent au moment du sinistre, lequel s'est réalisé dès le 17 mars 1997. À ce moment, son action à l'encontre de son conseil n'était pas prescrite.
Conclusion
En conséquence, l'argumentation d'Allianz à cet égard manque de fondement. Cet arrêt est intéressant non seulement en ce qui concerne le point de départ de la prescription, mais encore, et peut-être surtout, en ce qu'il rappelle et consacre le régime autonome de la prescription en matière d'assurance.