Déchéance du droit de conduire modalisée...uniquement le we
Introduction
La loi prévoit la possibilité de subir une déchéance du droit de conduire limitée du vendredi à 20 heures au dimanche à 20 heures et à partir de 20 heures la veille d'un jour férié jusqu'à 20 heures le jour férié même, pour les personnes qui travaillent pendant les jours de la semaine. A priori, la possibilité de subir une déchéance du droit de conduire limitée à certains jours de la semaine n’est pas prévue pour ceux qui travaillent le week-end. La Cour Constitutionnelle s’est penchée sur cette apparente discrimination dans un arrêt du 2.6.2016.
Cas d'un prévenu
Un prévenu était poursuivi pour un excès de vitesse, ayant roulé à 95,88 km/h dans une agglomération, ce qui amène le juge à devoir imposer une déchéance du droit de conduire de huit jours au moins.
Dispositions légales
L’article 38, § 2bis permet de limiter la déchéance du droit de conduire à la période allant du vendredi 20 heures au dimanche 20 heures et à partir de 20 heures la veille d’un jour férié jusqu’à 20 heures le jour férié même. Le prévenu demandait de lui imposer l’interdiction de conduire le mardi et le mercredi, étant donné qu’il travaille le samedi et le dimanche, mais la loi ne prévoit pas cette possibilité.
Interrogation du tribunal
Le tribunal interroge donc la Cour Constitutionnelle. Le prévenu estime que le fait de travailler ou non pendant le week-end ou pendant les jours de la semaine ne constitue pas un critère de distinction objectif et pertinent.
Objectifs de l'article 38, § 2bis
Il attire l’attention sur le fait que l’objectif de l’article 38, § 2bis consiste à prévoir des aménagements pour les personnes qui ont besoin de leur véhicule dans leurs activités professionnelles, tout en veillant néanmoins à la nécessité de prévoir une peine adaptée.
Il conteste que l’objectif de la disposition consiste à promouvoir la sécurité routière au cours du week-end et des jours fériés. Il considère, eu égard à l’objectif du législateur de tenir compte de la situation professionnelle concrète de tous les conducteurs, que limiter la marge d’appréciation du juge en ce qui concerne une catégorie précise de condamnés, à savoir ceux qui travaillent le samedi et le dimanche, entraîne une différence de traitement manifestement déraisonnable ou une peine manifestement déraisonnable.
Il attire également l’attention sur les conséquences graves de l’obligation de respecter l’interdiction de conduire pendant le week-end pour les personnes qui travaillent exclusivement le samedi et le dimanche.
Il souligne ainsi que la différence entre les conducteurs, selon qu’ils travaillent les jours de semaine ou le week-end, qui provient du fait que la déchéance du droit de conduire ne peut être adaptée qu’à la situation professionnelle des personnes travaillant les jours de semaine, n’est pas raisonnablement justifiée.
Position du Conseil des ministres
Le Conseil des ministres déclare que la mesure n’a pas été introduite en vue d’offrir aux personnes dont la profession requiert la conduite d’un véhicule la possibilité de conduire le véhicule indispensable à leur profession pendant les jours de semaine mais par le souci de diminuer le nombre d’accidents de la circulation et d’améliorer ainsi la sécurité routière.
En ordre subsidiaire, il considère que l’amélioration de la sécurité routière constitue un objectif légitime. S’il était question de deux catégories de personnes, la différence de traitement est objectivement et raisonnablement justifiée.
Eu égard aux statistiques élevées d’accidents se produisant pendant les week-ends et les jours fériés, il estime justifié de promouvoir la sécurité routière pendant ces périodes, grâce à la mesure en cause.
Décision de la Cour Constitutionnelle
La Cour Constitutionnelle tranche :
La disposition en cause a été insérée par la loi du 7 février 2003 portant diverses dispositions en matière de sécurité routière. La déchéance « fractionnée » du droit de conduire introduite en tant que peine possible n’était destinée qu’aux conducteurs peu expérimentés en matière de conduite.
« La déchéance du droit de conduire pendant le week-end est une mesure de lutte contre la problématique spécifique des accidents du week-end, qui concernent principalement les jeunes. Le fait d’étendre cette mesure aux autres conducteurs aurait pour effet d’atténuer considérablement cette sanction » (Doc. parl., Sénat, 2002-2003, n° 2-1402/3, p. 48).
La mesure a été remplacée par la loi du 20 juillet 2005 « modifiant les lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 20 juillet 2005) et a été étendue à tous les conducteurs.
« Au lieu de prononcer une déchéance continue du droit de conduire, le juge peut également prononcer une déchéance fractionnée qui n’est valable que lors des weekends et lors des jours fériés. Cela n’est toutefois valable que pour les personnes qui sont détentrices d’un permis de conduire depuis moins de 5 ans. Cet article lève cette dernière limite. Une déchéance fractionnée est également possible pour celui qui est détenteur d’un permis de conduire depuis plus de 5 ans » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1428/004, p. 15).
La déchéance du droit de conduire prévue dans la disposition en cause constitue une peine, qui présente un caractère tant préventif que répressif.
La déchéance du droit de conduire a pour effet qu’une personne condamnée perd le droit de se déplacer en tant que conducteur d’un véhicule motorisé sur la voie publique et de participer à la circulation.
La mesure contribue dès lors à la sécurité routière, en permettant aux juges de retirer temporairement ou définitivement à des conducteurs qui ne respectent pas les règles de circulation routière l’accès à la circulation en tant que conducteur d’un véhicule motorisé.
La mesure entend spécifiquement lutter contre les accidents qui surviennent les week-ends et les jours fériés et favoriser ainsi la sécurité routière générale.
Il résulte de ce qui précède qu’au regard de l’objectif de la mesure en cause, les prévenus qui travaillent les jours de la semaine et les prévenus qui travaillent le week-end ne se trouvent pas dans des situations essentiellement différentes, de sorte que l’identité de traitement n’est pas sans justification raisonnable.