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Déclaration tardive et prescription

Denis Gouzée Denis Gouzée

La Cour d'Appel de Mons a jugé que la déclaration de sinistre tardive de P.P. ne suspendait pas la prescription de son action contre l'assureur AG INSURANCE. P.P. avait subi un accident en mai 2010 et déclaré son sinistre ultérieurement. Malgré ses efforts pour prouver sa déclaration dans les délais, la Cour a estimé qu'il aurait dû agir plus rapidement. Elle a affirmé que, même si l'assureur ne pouvait pas sanctionner P.P. pour la tardiveté, cela n'effaçait pas le caractère tardif de la déclaration. La décision est critiquée pour son interprétation restrictive de la loi sur l'interruption de prescription.
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Assurance - Responsabilité - Roulage

Cour d’Appel de Mons - Arrêt Critiquable

Cour d’Appel de Mons a, ce 17.1.2017, prononcé un arrêt éminemment critiquable, dans la mesure où elle refuse de reconnaître à une déclaration de sinistre tardive un effet interruptif de prescription.

Les faits

  • P.P. a souscrit une assurance vie professionnelle et privée, en cas d'accident, lui garantissant des indemnités en cas d'invalidité permanente ou d'incapacité temporaire.
  • Le 4 mai 2010, il a effectué une chute après être monté sur un escabeau pour forer un trou avec une foreuse.
  • Il a consulté en septembre 2010 le docteur ARBONNIER, spécialiste des articulations.
  • A une date indéterminée, mais postérieure à l'intervention du docteur ARBONNIER, P.P. a procédé à une déclaration de sinistre auprès de la SA AG INSURANCE.
  • Par courrier du 25 novembre 2010, P.P. a écrit à la SA AG INSURANCE pour lui apporter des précisions sur son accident et reprenant le numéro de référence du dossier auprès de cette dernière, ce qui démontre qu'il a fait sa déclaration de sinistre, à son assureur, avant cette date.
  • Par courrier du 4 novembre 2011, et après avoir fait entendre l'assuré par son inspecteur, la SA AG INSURANCE a décliné son intervention en soutenant que P.P. avait commis une omission intentionnelle à propos du risque couvert.
  • Après des échanges écrits infructueux entre les parties, ce n'est que le 11 octobre 2012 que la SA AG INSURANCE a précisé que son assuré n'apportait pas la preuve du sinistre, qu'il avait sa résidence en Belgique comme il en avait l'obligation.
  • Par citation du 10 février 2014, P.P. a assigné la SA AG INSURANCE.

La citation introductive d'instance du 10 février 2014 ayant été lancée plus de trois ans après l'accident, survenu le 4 mai 2010, la SA AG INSURANCE soutient que l'action originaire de P.P., dirigée contre elle, doit être déclarée prescrite.

Pour s'opposer à la prescription de son action, P.P. invoque l'existence d'un acte interruptif du délai de prescription, soit sa déclaration de sinistre survenue avant l'expiration du délai de trois ans.

P.P. se fonde ainsi sur l'article 35 §3 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, devenu l'article 89 §3 de la loi du 4 avril 2014 qui dispose que : "Si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile, la prescription est interrompue jusqu'au moment où l'assureur a fait connaître sa décision par écrit à l'autre partie."

Analyse de la Cour

De manière éminemment critiquable, la Cour examine alors à quelle date est intervenue la déclaration de sinistre de P.P. pour déterminer si elle a été faite "en temps utile".

Elle cite une doctrine selon laquelle : "La prescription de l'action en paiement de la prestation est interrompue par la simple déclaration de sinistre, si cette dernière est réalisée en temps utile, conformément notamment à l'article 19, §1, alinéa 1er de la loi. Le délai repart lorsque l'assureur fait connaître par écrit à l'assuré... La déclaration de sinistre constitue bien une cause d'interruption de la prescription. Le délai écoulé devient donc sans effet et un nouveau délai, identique au premier, commence à courir lors de la réponse écrite de l'assureur." (J. DEHAENE, "La prescription en droit des assurances", in "La prescription", Collection du Jeune Barreau de Mons, Anthemis, 2011, p. 252-253)

Dans la ligne de cet auteur, la Cour examine si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile. Il faut donc s'en référer à l'article 19 §1 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, devenu l'article 74 §1 de la loi du 4 avril 2014 qui dispose que : "L'assuré doit, dès que possible et en tout cas dans le délai fixé par le contrat, donner avis à l'assureur de la survenance du sinistre. Toutefois, l'assureur ne peut se prévaloir de ce que le délai prévu au contrat pour donner l'avis mentionné à l'alinéa 1er n'a pas été respecté, si cet avis a été donné aussi rapidement que cela pouvait raisonnablement se faire."

La Cour considère alors que P.P. aurait donc dû raisonnablement, rapidement après l'accident, et non plus de cinq mois plus tard, aviser son assureur en effectuant sa déclaration de sinistre.

Faisant un raccourci dangereux, la Cour cite la Cour de Cassation à propos du calcul du délai de prescription pour une responsabilité quasi-délictuelle, qui rappelle que le délai prend cours à partir de la connaissance du dommage et non de son étendue (Cass., 9 décembre 2010, C.10.0306.F, inédit www.juridat.be).

La Cour va jusqu’à préciser que « Il importe peu d'invoquer le fait que, sur la base de l'article 21 §1 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, devenu l'article 76 §1 de la loi du 4 avril 2014, la SA AG INSURANCE devait de toute façon intervenir puisqu'il n'a subi aucun préjudice dû à la tardiveté de la déclaration de sinistre ».

Toujours selon la Cour : « Ce n'est, en effet pas parce que la SA AG INSURANCE n'aurait pas pu sanctionner P.P., dans le cas d'espèce, que la déclaration de ce dernier n'a pas été tardive ; Or, c'est uniquement ce dernier critère qui doit être pris en considération pour déterminer si la déclaration de sinistre peut ou non avoir un effet interruptif de prescription. Il ne faut, en effet, pas confondre les conditions d'application d'un droit avec les conditions pour l'exercice de ce droit. »

Partant, la Cour considère que l’action du preneur est prescrite.

Critique de la décision

Cette décision est à mon sens éminemment critiquable :

Lors que le législateur énonce « Si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile, la prescription est interrompue jusqu'au moment où l'assureur a fait connaître sa décision par écrit à l'autre partie. », il ne se réfère nullement à l’obligation de l’assuré de déclarer le sinistre dès que possible et en tout cas dans le délai fixé par le contrat.

La volonté du législateur est de ne pas pénaliser l’assuré qui a fait une déclaration et qui demeure dans l’attente de la réponse de son assureur.

La loi ne déclare pas nulle une déclaration tardive. Tout au contraire, la seule sanction prévue est la réduction de la prestation de l’assureur, à concurrence du préjudice qu'il a subi.

Il s’ensuit que la notion « Si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile » ne peut s’interpréter autrement que « dans le délai dans lequel la réclamation n’est pas prescrite ».

Comme le professeur FAGNART le souligne de manière pertinente : "L’interruption commence au moment de la déclaration de sinistre. Celle-ci doit sans doute être faite « en temps utile », mais on sait que les délais fixés pour la déclaration du sinistre n’ont qu’une valeur indicative. L’article 19, § 1, de la loi du 25 juin 1992 énonce en effet que l’assureur ne peut se prévaloir de ce que le délai prévu au contrat pour faire la déclaration de sinistre n’a pas été respecté, dès lors que cette déclaration a été faite aussi rapidement que cela pouvait raisonnablement se faire. En outre, si l’assuré ne respecte pas le délai, l’assureur peut uniquement prétendre à une réduction de sa prestation à concurrence du préjudice qu’il doit démontrer avoir subi du fait du retard dans la déclaration." (Fagnart, J.-L., « IV - Les avatars de la prescription » in La victime, ses droits, ses juges, Bruxelles, Éditions Larcier, 2009, p.269-270)

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