Envoi d'e-mail et faute grave
Décision de la Cour du Travail de Bruxelles du 7.2.2013
Un arrêt de la Cour du Travail de Bruxelles déclare non admissible au titre de preuve les emails qui étaient de nature à révéler l'existence d'une faute grave dans le chef d'un travailleur. Que dit cette décision ?
Contexte de l'affaire
Les faits que l'employeur reprochait au travailleur ont été découverts à la suite de la consultation de sa messagerie électronique. Avant cette consultation, l'employeur n'avait aucun soupçon.
Analyse de la Cour
La Cour considère d'abord que les courriels litigieux et leur contenu relèvent de la sphère de la vie privée de l'employé. En consultant les courriels envoyés par l'employé, sans l'accord de celui-ci, sans lui en communiquer les finalités et en l'absence de règles déterminées portées à la connaissance de l'employé, l'employeur a violé le droit du travailleur au respect de sa vie privée.
Ce faisant, la société appelante a contrevenu aux dispositions suivantes :
- Article 8 de la C.E.D.H. : Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
- Article 22 de la Constitution : Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et aux conditions fixés par la loi.
- Loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques (article 124) : S'il n'y est pas autorisé par toutes les personnes directement ou indirectement concernées, nul ne peut prendre intentionnellement connaissance de l'existence d'une information de toute nature transmise par voie de communication électronique et qui ne lui est pas destinée personnellement.
- CCT n° 81 du 26 avril 2002 : La prise de connaissance des données de communication des travailleurs ne peut intervenir que pour certaines finalités limitativement énumérées à l'article 5 de la CCT, de proportionnalité et de transparence.
- Article 314 bis du Code pénal : Sera puni quiconque aura pris connaissance des télécommunications privées.
Réponse de la Cour
En vain la société appelante soutient qu'elle n'aurait pas effectué un contrôle dans la messagerie électronique et que la prise de connaissance des courriels litigieux serait purement fortuite.
La Cour du travail considère que la charge de la preuve du caractère non intentionnel de la découverte de communications électroniques protégées incombe à l'employeur. La conséquence de l'irrégularité de la preuve est, en règle, l'inadmissibilité de celle-ci.
Jurisprudence ANTIGOON
La Cour du Travail rencontre alors ce qui est communément appelé la jurisprudence ANTIGOON qui tend à s'écarter des règles traditionnelles selon lesquelles le juge ne peut former sa conviction concernant la culpabilité d'un prévenu sur la base d'une preuve illicite.
La Cour du Travail estime que la Cour de cassation n'a certainement pas voulu qu'un employeur puisse impunément porter atteinte à des droits et à des libertés aussi fondamentaux que ceux garantis par les dispositions légales rappelées plus haut, ainsi qu'à la CCT n° 81, à seule fin de pouvoir établir un motif grave qu'aurait commis un travailleur.
Elle souligne que "Le litige ne se situe pas ici dans le conflit de valeurs qui oppose la gravité de l'infraction, d'une part, et l'acte irrégulier ayant permis de découvrir cette infraction, d'autre part."
Conclusion de la Cour
La Cour poursuit en rejetant la demande d'enquête, considérant qu'il ne peut être recouru à des enquêtes pour établir des éléments recueillis par une preuve illégale. Elle refuse de prendre en considération l'aveu du travailleur, considérant que l'aveu obtenu à la suite d'un moyen de preuve illégale est lui-même illégal.
Cette décision pose de lourdes questions de principe. L'avenir dira si un pourvoi sera introduit. Elle souligne, à tout le moins, l'importance d'avoir, au sein de l'entreprise, un accord réglementant la prise de connaissance des données de communication des travailleurs.