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Expertise...et secret des affaires

Denis Gouzée Denis Gouzée

L'article traite de la conciliation entre le principe du contradictoire et la protection du secret des affaires lors d'une expertise judiciaire. La Cour de Cassation a confirmé qu'une partie peut revendiquer la confidentialité de documents sensibles, à condition d'en établir un inventaire et de permettre leur consultation dans une salle dédiée, tout en respectant des règles strictes. La Cour a souligné que cette procédure ne viole pas le droit à un procès équitable, tant que les droits de défense sont garantis. Les documents confidentiels peuvent être consultés sans copie, préservant ainsi l'équilibre entre transparence et confidentialité.
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Procédure - Droit judiciaire

Le principe du contradictoire dans le déroulement d'une expertise

Le principe du contradictoire est fondamental dans le déroulement d'une expertise. Que se passe-t-il lorsqu'une partie estime que certaines pièces concernant, par exemple, sa stratégie d'avenir sont confidentielles parce qu'elles contiennent des informations sensibles pour l'entreprise ? La Cour de Cassation vient de se prononcer en la matière par un arrêt du 2.11.2012.

Processus mis en place par la Cour d'Appel

Pour permettre de concilier le principe du contradictoire et le respect de la confidentialité, la Cour d'Appel avait mis au point le processus suivant :

  • La partie qui revendiquait la confidentialité de certaines pièces devait établir un inventaire détaillé de ces pièces.
  • Cette partie devait transmettre cet inventaire ainsi qu'une description circonstanciée des raisons de cette confidentialité au collège des experts et aux parties intéressées.
  • En vue de garantir les droits de défense, ces pièces confidentielles devaient être disponibles à la consultation dans une salle des données.
  • Les parties devaient recevoir un disque dur comportant l'inventaire de la salle des données et les annexes.
  • Les parties pouvaient prendre connaissance des documents dans la salle des données aux moments fixés par le collège des experts.
  • Elles s'engageaient à respecter les règles de la salle des données transmises préalablement à la consultation.
  • Les parties pouvaient uniquement consulter les documents repris dans la salle des données ; la copie ou la prise de notes étaient exclues.
  • Les parties signaient préalablement aux visites à la salle des données la convention de confidentialité qui leur était remise.

Considérations de la Cour de Cassation

Appelée à se pencher sur cette méthodologie, la Cour de Cassation émit les considérations suivantes :

Conformément à l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

Il ressort de cette règle que les parties au procès ont la faculté de contredire toute pièce ou toute allégation qui est de nature à influencer le juge.

Le principe du contradictoire, tel qu'il est garanti par cette disposition conventionnelle, concerne l'instance devant le tribunal et pas l'expertise ordonnée par le juge.

L'expertise doit toutefois se dérouler de sorte que les parties aient la possibilité de formuler efficacement devant le juge leurs remarques relatives au rapport d'expertise qui est qualifié d'élément de preuve essentiel par le juge.

Cela implique, compte tenu aussi des dispositions du Code judiciaire garantissant la contradiction de l'expertise judiciaire, ainsi que celles relatives à la communication des pièces, que les parties doivent, en principe, se communiquer mutuellement les pièces qu'elles souhaitent utiliser dans le cadre de l'expertise et qu'elles n'ont pas seulement le droit de les consulter, mais aussi celui de les recopier ou d'en faire copie.

Protection du secret des affaires

Conformément à l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Cette disposition implique aussi la protection du secret des affaires et s'applique aussi aux personnes morales.

La protection du secret d'affaires d'une partie est un intérêt que le juge peut prendre en considération pour décider qu'il ne faut pas communiquer à la partie adverse chaque pièce dont l'expert a tenu compte. Une telle appréciation n'implique pas une violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il y a lieu d'apprécier concrètement et à la lumière de la cause dans son ensemble si, lors de l'appréciation des intérêts respectifs, le caractère contradictoire de l'expertise n'a pas été limité de manière telle qu'il en résulte une violation du droit à un procès équitable.

La circonstance qu'une personne lésée supporte la charge de la preuve de l'existence et de l'étendue de son dommage n'empêche pas que le juge, après avoir évalué les intérêts, décide que la personne lésée invoque la protection du secret des affaires garantie par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Évaluation des pièces à remettre à l'expert

Les pièces à remettre à l'expert judiciaire concernent la stratégie d'avenir des défenderesses et contiennent des pronostics et des études internes concernant les évolutions sur le marché de l'électricité, ainsi que des informations relatives aux mérites des membres du personnel ou encore relatives au know how des entreprises ou leur stratégie commerciale. Il s'agit d'informations sensibles pour l'entreprise et qui ont un caractère confidentiel.

Après l'évaluation des intérêts, la Cour d'appel a pu considérer que la confidentialité de ces éléments doit aussi être garantie à l'égard du demandeur.

Un règlement de consultation des pièces qui contiennent des informations sensibles pour l'entreprise est établi sur la réception d'un inventaire de la salle des données et les annexes, et sur la possibilité de prendre connaissance des documents repris dans la salle des données aux moments prévus par le collège des experts, ce qui équivaut entièrement aux conditions de la contradiction et du respect des droits de la défense.

La circonstance que les visiteurs de la salle des données ne peuvent prendre ni des copies ni des notes des pièces qui peuvent y être consultées n'est pas de nature à violer le principe général du droit au contradictoire, qui est suffisamment garanti dès lors qu'il n'y a pas de limitation en ce qui concerne le nombre de visites et leur durée, ni en ce qui concerne l'identité des visiteurs, à tout le moins pour autant qu'ils interviennent en tant que représentants ou conseillers juridiques/techniques de la partie qui veut faire usage du droit de consultation.

Dès lors que les pièces non confidentielles peuvent faire l'objet d'une consultation ou d'une prise de copie et que les pièces considérées comme confidentielles peuvent être consultées par les parties de manière illimitée, compte tenu des circonstances exceptionnelles de la cause, il n'est question ni d'une violation du caractère contradictoire de l'expertise ni d'une infraction à la condition de la communication des pièces.

La limitation instaurée en matière de pièces confidentielles ne fait pas obstacle à la rédaction d'une expertise motivée et contrôlable.

Conclusion de la Cour de Cassation

Sur la base de ces motifs, l'arrêt a pu décider légalement que la limitation instaurée en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations ne constitue pas une violation du droit à un procès équitable.

Rappelons que la Cour de Cassation ne se prononce pas, en l'espèce, sur le fond du dossier qui relève de l'appréciation souveraine du juge, mais statue, en l'espèce, sur le principe de la difficile conciliation entre respect du secret des affaires et respect du contradictoire.

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