La Notion de Sinistre Intentionnel en Assurance
Introduction
La notion de sinistre intentionnel constitue une exception majeure au principe indemnitaire de l'assurance. Ce principe veut que l'assuré soit indemnisé uniquement pour les sinistres survenus de manière imprévue. En conséquence, un sinistre causé délibérément par l'assuré est traditionnellement exclu de la couverture d'assurance.
Cadre Juridique et Jurisprudence
L'article 62 de la Loi du 4 avril 2014 relative aux assurances précise que l'assureur ne couvre pas les sinistres provoqués intentionnellement par l'assuré. Cette déchéance, personnelle à celui qui a commis l’acte incriminé, reflète la logique économique et éthique qui sous-tend le contrat d'assurance : prévenir la fraude et les comportements illicites.
Arrêt de la Cour de Cassation du 23 février 2017
La Cour de cassation, dans son arrêt du 23 février 2017, a confirmé que la couverture est exclue pour les sinistres intentionnels. Elle a insisté sur le fait que l'intention doit être prouvée conformément aux règles communes du droit civil, requérant de l'assureur la démonstration de la volonté de l'assuré de provoquer le dommage.
Une personne s’était suicidée par explosion et les assureurs incendie du bâtiment détruit et RC vie privée de la personne décédée considéraient qu’il s’agissait là d’un sinistre intentionnel.
La Cour de cassation ne suivit pas les assureurs en limitant une nouvelle fois la notion de sinistre intentionnel dans les termes suivants :
« La faute intentionnelle suppose la volonté de causer un dommage résultant de la réalisation d’un risque couvert par le contrat ».
Ainsi, aux termes de cet arrêt, non seulement il doit y avoir une intention de causer un dommage, mais le dommage en cause doit correspondre aux risques couverts par le contrat. En résumé, l'assuré doit avoir eu l'intention de provoquer le sinistre couvert par le contrat.
Arrêt de la Cour de Cassation du 3 novembre 2022
L'arrêt du 3 novembre 2022 apporte une nuance : il ne suffit pas de prouver l'intention de commettre l'acte ayant conduit au sinistre, mais il faut prouver l'intention spécifique de causer le dommage qui en résulte. Cet arrêt ajoute une complexité à la charge probatoire de l'assureur.
Un jeune homme avait jeté une pierre en direction d’un groupe de personnes afin de les effrayer ; par son geste, il a cependant grièvement blessé une des personnes du groupe qui a perdu la vue au niveau de son œil droit.
La Cour d’appel de Liège avait considéré qu’il s’agissait là d’un sinistre intentionnel au motif que « les conséquences dommageables de pareil acte d’intimidation [sont] de nature à fonder la responsabilité civile de son auteur » en sorte qu’est établie « la volonté [du demandeur] de causer un dommage couvert par la garantie responsabilité civile vie privée consentie par la [défenderesse] ».
La Cour de cassation casse cet arrêt pour le motif suivant :
« En considérant que le demandeur a voulu le dommage résultant de son acte d’intimidation, à savoir effrayer les membres du groupe dont faisait partie la victime, qu’il a ainsi commis une faute intentionnelle et que les conséquences de celle-ci s’étendent à un dommage qui n’est pas en lien nécessaire avec cette frayeur, soit la perte d’un œil par la victime, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision de déclarer fondé le refus d’intervention de la défenderesse ».
Conséquences et Réflexions
Ces décisions illustrent la finesse requise dans l'analyse de l'intentionnalité d'un sinistre. La jurisprudence récente favorise la protection des assurés contre les annulations de couverture arbitraires, tout en préservant la nécessité de lutter contre la fraude.
Conclusion
Le droit des assurances belge, à travers les arrêts de la Cour de Cassation, cherche un équilibre entre la prévention de la fraude et la protection des droits des assurés. Les affaires citées démontrent l'importance d'une évaluation minutieuse de l'intentionnalité derrière chaque sinistre. Les assureurs doivent s'adapter à cette jurisprudence complexe pour bien gérer les sinistres intentionnels.