Le courtier n’est pas le mandataire du preneur
Contexte de l'Assurance Incendie
Le propriétaire d’un immeuble souscrit auprès d’une compagnie d’assurances, par l’intermédiaire de son courtier, une police d’assurance incendie destinée à couvrir le bien dont il est occupant.
Il est mentionné dans la police que le preneur était antérieurement assuré auprès d’une autre compagnie, notamment pour les catastrophes naturelles.
Erreur du Courtier et Conséquences
Cependant, suite à un encodage erroné par le courtier d’une date de réception provisoire du bâtiment, il est inséré dans le contrat une clause 1811 en vertu de laquelle les dommages consécutifs aux inondations ne sont pas couverts.
L’immeuble et son contenu sont lourdement endommagés par les inondations.
La compagnie refuse de prendre en charge ce sinistre, invoquant la clause 1811.
Intervention du Conseil du Preneur
La compagnie sera interpellée par le conseil du preneur, en août et septembre 2021, lui indiquant que l'insertion de la clause 1811 dans le contrat relève d'une erreur et est en conséquence illicite au regard des dispositions impératives des articles 123 et 129 de la loi du 04/04/2014 relative aux assurances.
Appel en Intervention du Courtier
La citation sera lancée et la compagnie d’assurances appelle en intervention forcée et garantie le courtier, estimant qu’il a commis une erreur justifiant que soit condamnée à garantir la compagnie de toute condamnation qui serait prononcée.
Concernant la Demande Dirigée contre la Compagnie
Le tribunal rappelle que l’article 123 de la loi du 4 avril 2014 prévoit l’obligation dans le chef des compagnies d’assurance couvrant les périls incendie de délivrer également une garantie catastrophe naturelle couvrant notamment le risque d’inondation.
Le tribunal rappelle pareillement que pour pouvoir déroger à cet article 123, les conditions de l’article 129 doivent être réunies, ce que la compagnie d’assurance ne conteste pas.
Le tribunal rappelle, enfin, que l’article 56 de la loi du 4 avril 2014 précise que sauf lorsque la possibilité d’y déroger par des conventions particulières résulte de leur rédaction même, les dispositions de la loi sont impératives.
Sur base des faits qui lui sont soumis, le tribunal constate que les conditions dérogatoires de l’article 129 ne sont pas réunies, ainsi la clause 1811 ne peut sortir ses effets et que le sinistre doit être couvert.
Concernant l'Article 60, §3 de la Loi sur les Assurances Invoqué par l’Assureur
La compagnie d’assurances invoque l’article 60 § 3 de la loi relative aux assurances pour tenter de limiter son intervention.
Pour mémoire, cette disposition prévoit qu’en cas d’omission ou de déclaration inexacte qui peut être reprochée au preneur d’assurance, l’assureur n’est tenu de fournir une prestation que selon le rapport entre la prime payée et la prime que le preneur d’assurance aurait dû payer s’il avait régulièrement déclaré le risque.
Le tribunal constate d’abord que cette disposition ne vise toutefois pas une faute du courtier, mais une faute du preneur.
Or, la compagnie développe cette argumentation après avoir souligné qu'elle mettait en cause la responsabilité du courtier, ce qui interpelle (sic).
La Compagnie entend pouvoir faire grief au preneur de ne pas avoir déclaré exactement les caractéristiques du risque à couvrir lors de la conclusion du contrat et soutient ensuite que s'il fallait considérer que ces erreurs sont le fait-même de son courtier, le preneur est le mandant du courtier et les fautes de ce dernier, mandataire, l'engagent vis-à-vis des tiers et donc, vis-à-vis de l’assureur.
Dans le même temps, l’entreprise d’assurance reproche au preneur de ne pas avoir signalé que les informations reprises au contrat ne sont pas correctes.
Le tribunal rappelle alors que l’obligation de déclaration mise à charge du preneur d’assurance est circonscrite à l’article 58 de la loi du 4 avril 2014 qui prévoit que le preneur a l’obligation de déclarer exactement, lors de la conclusion du contrat, les éléments d’appréciation du risque et que le preneur ne doit pas déclarer à l’assureur les circonstances déjà connues de celui-ci ou que celui-ci devrait raisonnablement connaître.
Éléments de Déduction du Tribunal
Le tribunal relève alors que :
- Le contrat antérieurement souscrit auprès d’une autre compagnie (qui n’avait pas classé le bien en zone inondable) avait été communiqué à l’entreprise d’assurance.
- Pour son précédent contrat (qui n’excluait pas le risque inondation) le preneur payait une prime inférieure.
À l'estime du tribunal, il se déduit de ces éléments qu'à supposer même qu'une omission ou déclaration inexacte soit établie, celle-ci ne pourrait pas être reprochée au preneur.
Le tribunal poursuit : à supposer que cette omission ou déclaration inexacte soit le fait du courtier, la responsabilité en incombe-t-elle au preneur en raison du mandat allégué par l’entreprise d’assurance ?
L'article 5.21/1 de la loi du 04/04/2014 relative aux assurances définit le courtier d'assurances comme « l'intermédiaire d'assurance qui met en relation des preneurs d'assurance et des entreprises d'assurance sans être lié par le choix de ces entreprises d'assurance ».
Que l'article 5.20 de cette même loi définit l'intermédiaire d'assurances comme « toute personne morale ou physique ayant la qualité de travailleur indépendant au sens de la législation sociale, autre qu'une entreprise d'assurance ou de réassurance et autre qu'un intermédiaire d'assurance à titre accessoire, qui, contre rémunération, accède à l'activité de distribution d'assurance ou l'exerce ».
Le courtier d'assurances est donc a priori un intermédiaire indépendant dont le rôle est de mettre en relation les preneurs d'assurance et les compagnies d'assurance. L'existence du contrat de mandat entre le preneur et le courtier tel qu'il a été vanté par la compagnie d’assurance n’est aucunement démontrée, de sorte que cette position ne pourra pas être suivie.
Concernant la Responsabilité du Courtier
Ainsi qu'il le sera exposé, la position de l’entreprise d’assurance est confuse et imprécise tant concernant la faute précisément reprochée au courtier qu'en ce qui concerne la base légale de sa demande.
L’entreprise d’assurance soutient que son recours vis-à-vis du courtier repose sur le contrat de mandat qui existerait entre elle et le courtier, et ce, après avoir également soutenu (voir ci-avant) que le courtier était le mandataire du preneur !
Elle entend tirer parti des obligations du mandataire vis-à-vis du mandant (articles 1991 et 1992 de l'ancien Code civil).
L’entreprise d’assurance fait état, pour établir le mandat allégué, d'un exemple de convention intitulé « convention d'utilisation AG Online et Archivage ». Elle reconnaît cependant que cette convention n'était pas d'application lors de la conclusion de la police litigieuse et on ignore si le courtier a signé cette convention.
Aucun élément relatif à la prétendue relation contractuelle qu'a entretenu l’entreprise d’assurance avec le courtier n'est avancé, et encore moins, étayé.
L'existence du mandat allégué n'est aucunement démontrée.
Par ailleurs, à supposer qu'une faute contractuelle ou extracontractuelle puisse être retenue dans le chef du courtier, l’entreprise d’assurance n’établit pas l'existence d'un dommage en lien causal avec cette faute ?
Pour rappel, la faute reprochée par l’entreprise d’assurance semble consister en une déclaration inexacte lors de la conclusion du contrat d'assurances litigieux.
Relevons, à cet égard, que la jurisprudence citée par l’entreprise d’assurance relative aux manquements au devoir d'information du courtier concerne le devoir d'informations des courtiers vis-à-vis de leur client et non vis-à-vis de l'assureur et manque donc de pertinence en l'espèce.