Location d'un portefeuille d'assurances : pas sans risques
La problématique de la location d'un portefeuille d'assurances
La recherche de la voie la moins imposée est un sport national et les solutions les plus imaginatives sont parfois mises en œuvre. La Cour d'appel de Mons a eu l'occasion d'examiner la problématique de la location d'un portefeuille d'assurances.
Nous résumons cette décision, sans nous prononcer sur son caractère judicieux, mais afin de rendre attentifs nos lecteurs sur les risques de certains montages.
Les faits de l'affaire
Dans l'espèce qui nous occupe, le courtier avait conclu pour une durée de 4 ans (renouvelable par tacite reconduction) une convention sous seing privé (mais enregistrée) de location de clientèle avec une société dont il était l'associé largement majoritaire et le gérant. Cela moyennant le paiement d'une redevance mensuelle indexée tout en se réservant la propriété de la clientèle.
Cette réserve de propriété porte tant sur la clientèle constituée à la date d'entrée en vigueur de la location consentie que sur l'accroissement de la clientèle qu'engendrera l'exploitation de celle-ci, cet accroissement de clientèle étant présumé, et accepté par les parties, provenir de la clientèle donnée en location.
Déclaration fiscale et rectification
Dans sa déclaration à l'impôt des personnes physiques, le courtier déclara une rémunération de dirigeant d'entreprise et des revenus nets de la location, de l'affermage, de l'usage ou de la concession de biens mobiliers visés à l'article 17, § 1er, 3° du code des impôts sur les revenus (1992) (ci-après, C.I.R. 1992), taxables au taux distinct de 15% en application de l'article 171, 2 bis, a) du C.I.R. (1992).
Le contrôle des contributions envoya au courtier un avis de rectification proposant de taxer les sommes déclarées à titre de revenus mobiliers comme rémunérations de dirigeants d'entreprise au motif qu'il est de l'essence du louage de choses de pouvoir restituer ladite chose louée.
Or, selon l'administration, la clientèle disparaît par suite de diverses circonstances de la vie (décès, déménagements, ...) et est remplacée par une nouvelle clientèle qui devrait devenir automatiquement la propriété de la société.
En outre, l'administration relève que la clientèle louée peut réintégrer à tout moment le patrimoine du dirigeant à sa guise et que toute variation de clientèle n'est aucunement prise en compte dans la détermination du montant locatif.
Pour rappel, aucune contribution n'est exigée de la part des deux parties du fait de la restitution du bien loué différent au terme du contrat.
Contrairement à l'essence même de tout contrat synallagmatique, les obligations réciproques des parties sont sans commune mesure. L'administration considérait, en outre, que l'activité de la société était uniquement exercée en pratique par le courtier en sa qualité de dirigeant.
Aucun changement n'est intervenu dans l'exercice quotidien de la profession du courtier, si ce n'est l'absence de déclaration des revenus générés par le portefeuille dans son chef.
Décision de la Cour d'appel de Mons
La Cour d'appel de Mons, dans un arrêt du 15.06.2011, fit droit à la position de l'administration pour les motifs suivants.
L'administration fiscale soutient que la convention de location est simulée, en ce qu'elle cache la situation réelle à savoir l'attribution d'une rémunération mensuelle fixe déguisée de dirigeant d'entreprises.
Selon la théorie classique du droit civil, il y a simulation lorsque les parties font un acte apparent dont elles conviennent de modifier ou de détruire les effets par une autre convention demeurée secrète (DE PAGE H., Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1948, 2ème édition revue, complétée et corrigée, p. 585, n° 618).
La simulation cesse d'être licite lorsqu'elle est ourdie en vue d'éluder l'application de dispositions légales d'ordre public ou impératives qui eussent dû régir le rapport juridique réel ou lorsqu'elle a pour objet de frauder les droits des tiers, comme le fisc (voir Civ. Mons, 5 octobre 1988, J.T., 1989, p. 442; S. Stijns, D. VanGerven et P. Wery, «Chronique de jurisprudence : les obligations - les sources (1985-1995), J.T., 1996, p. 752, n° 181).
Selon la Cour de cassation, il n'y a pas simulation prohibée à l'égard du fisc, ni partant, fraude fiscale, lorsque, en vue de bénéficier d'un régime fiscal plus favorable, les parties, usant de la liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes dont elles acceptent toutes les conséquences, même si la forme qu'elles leur donnent n'est pas la plus normale et même si ces actes sont accomplis à seule fin de réduire la charge fiscale (Cass. 6 juin 1961, Pas., 1961, I, 1082, en cause de Brepols/ Etat belge et Cass., 22 mars 1990, Pas., 1990, I, 853).
Il convient de vérifier si les parties ont accepté toutes les conséquences juridiques des conventions qu'elles ont passées et si les accords apparemment conclus correspondent bien aux accords réellement conclus.
Analyse des conséquences juridiques
Il résulte de la comparaison des chiffres et de la qualification des revenus déclarés avant et après l'entrée en vigueur de la convention que l'intention réelle des parties en concluant le contrat de location de clientèle a été de permettre la disqualification des revenus professionnels perçus par le courtier en revenus mobiliers.
L'exploitation de la clientèle a cependant été poursuivie de la même manière par le courtier avant et après la convention de location, vu notamment le lien existant entre celui-ci et sa société (voir à cet égard : Anvers, 22 mai 2001, commenté par le Fiscologue, n° 805, 22 juin 2001, p. 4).
La convention de location prévoit la mise à la disposition de la société d'un fichier confidentiel, ainsi que divers actifs corporels nécessaires à l'exploitation du fonds loué, dont le courtier n'est toujours pas en mesure en degré d'appel de donner une description précise.
Une partie du loyer convenu ne correspondait pas à la jouissance de ces actifs corporels.
Même si le courtier ne prestait plus de service dans le cadre d'une entreprise de courtage d'assurance exercée en personne physique à titre indépendant, il y a lieu de considérer, dans les circonstances de la cause, que son exploitation intéressée à l'entreprise n'avait pas pris fin dès lors que la clientèle qui se créait postérieurement à la convention litigieuse lui profitait puisqu'elle restait sa propriété par fiction.
De telles conditions contractuelles n'auraient jamais pu être consenties entre parties indépendantes et qu'à l'évidence, celles-ci n'ont pu être négociées à l'avantage du premier appelant que parce qu'il était le gérant unique de la société.
La fraude fiscale se confond avec la simulation qui porte sur la cause du paiement du loyer et, partant, sur la qualification de l'acte juridique opposé au fisc.
Les loyers représentent clairement la rémunération du travail du courtier au profit de la société et doivent dès lors être considérés et imposés comme des revenus professionnels de dirigeant d'entreprise.