Prescription et bonne foi
Arrêt de la Cour d’Appel de Liège sur la Prescription et la Bonne Foi
Un intéressant Arrêt de la Cour d’Appel de Liège examine la problématique de la prescription sous l’angle de la bonne foi.
Le preneur avait souscrit auprès d’une compagnie d’assurances une police d’assurance de type « individuelle accident » « vie professionnelle et privée ». Le 24 avril 2006, la veuve du preneur a rempli une déclaration de sinistre destinée à l’assureur, relatant les faits.
Le 3 mai 2006, l’assureur fit part au courtier de la veuve de son refus d’intervenir. Par courrier du 25 janvier 2007, le conseil de la veuve du preneur interpella de manière argumentée l’assureur qui, le 5 mars 2007, l’informa du maintien de sa volonté de ne pas couvrir le sinistre.
La veuve et ses deux filles déposèrent une requête unilatérale devant le président du tribunal de travail de Namur sollicitant, sur la base de l’article 17 du contrat d’assurance, la désignation d’un arbitre afin de départager les parties quant à leurs divergences d’opinion sur l’aspect médical.
L’expertise eut lieu tous droits des parties saufs, l’assureur déclarant participer à l’expertise sous toute réserve et sans reconnaissance préjudiciable.
Par citation, la veuve du preneur assigna l’assureur et le tribunal déclara l’action…prescrite.
Analyse de la Cour d’Appel
En appel, la Cour releva que l’action intentée par la veuve du preneur dérive du contrat d’assurance.
Selon l’article 34, § 1er, premier alinéa, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, actuellement article 88 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, le délai de prescription de toute action dérivant du contrat d’assurance est de trois ans.
Selon le deuxième alinéa, le délai court à partir du jour de l’événement qui donne ouverture à l’action, conforme au principe selon lequel le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que l’action ne soit née, c’est-à-dire tant que l’obligation sur laquelle se fonde l’action n’est pas devenue exigible.
Selon le quatrième alinéa, en matière d’assurance de personnes, le délai court, en ce qui concerne l’action du bénéficiaire, à partir du jour où celui-ci a connaissance à la fois de l’existence du contrat, de sa qualité de bénéficiaire et de la survenance de l’événement duquel dépend l’exigibilité des prestations d’assurance.
En vertu de l’article 35, § 3, de la loi du 25 juin 1992, actuellement article 89 de la loi du 4 avril 2014, si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile, la prescription est interrompue jusqu’au moment où l’assureur a fait connaître sa décision par écrit à l’autre partie.
La Cour énonce que la période d’interruption de la prescription causée par la déclaration de sinistre faite en temps utile par la veuve, a cessé de par l’envoi par l’assureur de son courrier du 5 mars 2007 par lequel elle faisait savoir à la veuve, après réexamen du dossier, définitivement et clairement, qu’elle refusait son intervention. Ainsi, un nouveau délai de trois ans a débuté.
Un délai de plus de trois ans s’est écoulé entre ce courrier de l’assureur et la citation introductive de première instance signifiée à la requête de la veuve du preneur, sans qu’aucune nouvelle cause d’interruption ne soit intervenue. La procédure introduite par requête unilatérale par la veuve du preneur devant le président du tribunal du travail, qui visait à obtenir une mesure d’instruction et non à le saisir d’une prétention au fond, n’ayant pas eu d’effet interruptif. Des pourparlers n’étant pas en mesure d’interrompre la prescription, que ce soit au regard du droit commun de la prescription ou au regard du droit des assurances régissant la prescription.
Obligation de Bonne Foi
Cependant, chaque partie à un contrat a l’obligation d’exécuter de bonne foi ce contrat (article 1134, alinéa 3, du Code civil).
En l’espèce, les courriers échangés entre parties démontrent l’existence non seulement d’une contestation portant sur l’application au cas d’espèce de la notion contractuelle d’« accident », mais aussi d’une contestation d’ordre médical quant à la cause du décès.
Il s’en suit que, conformément à l’article 17 des conditions générales contractuelles, la compagnie d’assurances, qui est une professionnelle des assurances et est la rédactrice des conditions générales contractuelles, aurait dû alors proposer à la veuve de désigner un médecin-conseil, lequel, avec son propre médecin-conseil, aurait désigné un troisième expert à la voix prépondérante.
Elle n’a pas agi en ce sens, choisissant de réexaminer la situation avec ses médecins-conseils et de maintenir sa position de refus de couverture.
La veuve, vu l’attitude de la compagnie d’assurances qui maintenait son refus de couverture nonobstant la contestation d’ordre médical, a fait une application correcte de l’article 17 des conditions générales contractuelles en engageant par requête devant le président du tribunal du travail de Namur une procédure afin que celui-ci désigne l’expert-médecin, en sorte qu’aucun reproche ne lui est imputable de ce fait.
La compagnie d’assurances a participé à l’expertise.
La compagnie d’assurances ne peut s’appuyer sur son propre manquement contractuel — elle devait faire application de l’article 17 précité et non pas maintenir purement et simplement son refus — pour, avec mauvaise foi, après avoir suivi l’expertise, même si c’était sans reconnaissance préjudiciable et sous toute réserve, se revendiquer de la prescription.
Quant à la veuve, elle a pu légitimement croire que, vu l’enclenchement de la procédure prévue par l’article 17 précité, l’appelante ne se revendiquerait pas de sa décision du 5 mars 2007 pour fonder le moyen de la prescription.
En conséquence, ce moyen de la prescription de l’action de la veuve n’est pas fondé.