Voie ferrée… le travailleur est aussi un usager faible
Introduction
L’application du régime de protection des usagers faibles à l’occasion d’accident survenu sur une voie ferrée a déjà donné lieu à de très nombreuses polémiques. Un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 28.5.2015 aborde cette fois la question d’un accident de la circulation se produisant sur une voie ferrée complètement isolée de la circulation, mais fréquentée par une personne expressément autorisée à le faire dans le cadre de son travail.
Contexte de l'accident
Le 25 octobre 2008, un ouvrier effectuait des travaux pour le compte de la SNCB en vue du remplacement de traverses. Il est happé par un train et décède sur le coup.
Indemnisation suite à l'accident
Suite à l’accident, la SNCB a supporté les frais funéraires et indemnisé les ayants droit du défunt en application de la réglementation relative aux accidents du travail. Ces ayants droit ont toutefois décidé d’assigner, en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi, la SNCB sur la base de l’article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs.
Questions juridiques soulevées
La Cour est invitée à contrôler la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article 29bis, §1er, alinéa 2 dans l’interprétation selon laquelle cette disposition n’exclurait pas du régime d’indemnisation automatique qu’elle prévoit les accidents de la circulation se produisant sur une voie ferrée complètement isolée de la circulation, mais fréquentée par une personne expressément autorisée à le faire dans le cadre de son travail.
Arrêt antérieur de la Cour
Dans son arrêt n° 35/2012 du 8 mars 2012, la Cour avait dit pour droit que la disposition en cause, en ce qu’elle n’exclut pas du régime d’indemnisation automatique les accidents de la circulation impliquant un train qui circule sur une voie ferrée qui est complètement isolée de la circulation viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Toutefois, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait un accident survenu à un piéton se trouvant sur ou à proximité d’une voie ferrée, heurté par un train alors que celui-ci circulait à un endroit où la voie ferrée était complètement isolée des endroits visés à l’article 2, § 1er, à savoir la voie publique, les terrains ouverts au public et les terrains qui ne sont ouverts qu’à un certain nombre de personnes ayant le droit de les fréquenter.
Arguments de la SNCB
La SNCB soutenait que le risque encouru par la victime de l’accident constituerait un risque professionnel dû à la seule cause d’avoir à effectuer des travaux et non un risque lié à la circulation si bien qu’il y aurait donc lieu d’appliquer le régime d’indemnisation « type accident du travail ».
La Cour rappelle que ces deux indemnisations sont cumulables.
Analyse de la Cour
Par son arrêt n° 93/2006 du 7 juin 2006, la Cour a jugé que, contrairement à l’article 29bis, §1er, alinéa 1er, l’alinéa 2 de cette disposition ne limitait pas le régime d’indemnisation qu’il prévoit aux endroits visés à l’article 2, § 1er, à savoir la voie publique, les terrains ouverts au public et les terrains qui ne sont ouverts qu’à un certain nombre de personnes ayant le droit de les fréquenter.
De même, selon l’arrêt du 11 janvier 2010 de la Cour de cassation, le mécanisme d’indemnisation automatique des victimes d’accidents de la circulation prévu par l’article 29bis a dès lors un champ d’application ratione loci plus large lorsqu’un véhicule sur rails est impliqué dans l’accident de la circulation que lorsque ce n’est pas le cas.
Dans plusieurs arrêts, la Cour a constaté que l’exclusion du régime d’indemnisation automatique, qui existait autrefois, lorsqu’un véhicule sur rails était impliqué dans l’accident de la circulation, violait les articles 10 et 11 de la Constitution.
Conséquences du contexte d'accident
En effet, la circonstance que les véhicules sur rails roulent en site propre peut certes justifier que ces véhicules n’entrent, en règle générale, pas dans le champ d’application du règlement général sur la police de la circulation routière, mais ce constat n’est pas de nature à démontrer à suffisance que les véhicules sur rails, lorsqu’ils font usage de la voie publique ou croisent entièrement ou partiellement la voie publique, impliquent un risque moindre à un point tel qu’il se justifierait de prévoir un régime de réparation des dommages fondamentalement différent.
Le législateur a donc pu prendre en compte le risque qu’ils créent lorsqu’ils circulent en des endroits qui ne sont pas isolés de la voie publique, dès lors que ce risque est analogue.
Par contre, lorsque le train circule sur une voie ferrée qui est complètement isolée de la voie publique, le risque créé par ce véhicule pour l’usager faible de la route devait être tenu pour essentiellement différent de celui créé pour ce même usager par des véhicules circulant sur la voie publique.
En revanche, le fait que le véhicule lié à une voie ferrée se trouve en un lieu complètement isolé du reste de la circulation n’a aucune incidence sur le risque créé par ce véhicule pour les personnes qui sont autorisées à se trouver sur la voie ferrée dans le cadre de leur travail.
Il n’est en effet pas raisonnablement justifié que cette personne soit exclue de l’indemnisation automatique prévue par l’article 29bis en cause pour le seul motif qu’au moment de l’accident dont elle est victime, le véhicule circule sur une voie ferrée complètement isolée alors qu’elle pourrait bénéficier de cette indemnisation lorsque le véhicule circule aux endroits qui ne sont pas isolés complètement de la voie publique.
Les personnes autorisées à se trouver sur la voie ferrée dans le cadre de leur travail bénéficient, dès lors, de la protection de l’article 29bis.